Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/255

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voir sans émotion Innocent laissant échapper des larmes, et Segni éprouvant un désespoir mêlé de remords, comme s’il eût été coupable lui-même des crimes de lèse-majesté dont il n’était que le dénonciateur. Troublé, attendri à la vue de l’émotion du pontife, l’abbé ne pouvant se pardonner d’avoir obéi, s’était prosterné aux pieds d’Innocent, qu’il tenait embrassés, répétant au milieu des larmes et des sanglots : « Que votre sainteté me pardonne ; c’est elle qui a voulu, qui a exigé que je parlasse !... Grand Dieu ! que vais-je devenir ?... Votre pouvoir, saint-père, sera-t-il assez grand pour me pardonner ? » Et Segni continua de se rouler devant le pape, en exprimant par des monosyllabes et des sons inarticulés l’état violent où était tombé son âme.

Le pape pleurait. Pancirole, qui jusque-là s’était tenu à quelque distance, se rapprocha d’Innocent, dont il toucha amicalement la main, tandis qu’il dit doucement à Segni que sa sainteté ordonnait qu’il se relevât ; et s’adressant de nouveau au secrétaire : « Vous êtes un excellent catholique, monsieur l’abbé Segni, lui dit-il ; vous vous êtes conduit en homme d’honneur, et je ne crains pas de me faire l’interprète du saint-père, en disant que votre sincérité et votre dévouement lui sont précieux ; mais nous devons ménager la santé du pontife, qui est chancelante. » Alors Pancirole attira Segni dans un angle de la chambre, et reprenant le ton ordinaire de la conversation : « Vous n’avez pas d’autres pamphlets, d’autres satires que celles-ci ? lui demanda-t-il en lui montrant les papiers qui avaient été présentés au pape, et dont il s’était aussitôt emparé. — Non, éminence. — Faites-y bien attention ; et s’il vous en restait quelques-uns par hasard, remettez-les-moi. — Oui, éminence. — Car il serait fâcheux que de telles choses fussent connues ici ; c’est sérieux, prenez-y bien garde ! » L’abbé Segni fit comprendre par un geste respectueux qu’il sentait toute l’importance d’une telle recommandation. Après quoi Pancirole le questionna sur sa famille, sur ses espérances, cherchant même à connaître quelles pouvaient être ses prétentions. Mais l’abbé, dont les esprits étaient encore troublés par l’idée de la témérité avec laquelle il s’était soulagé l’âme devant le