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parler quand je le l’ordonne ! » dit le pape en le secouant violemment par le bras. À cet effet de la colère du pontife, l’enfant eut peur, mais cependant ne dit rien. Alors Innocent, hors de lui, et après s’être écrié plusieurs fois : Veux-tu parler ? veux-tu parler, petit païen ? la patience lui échappa, et il appliqua un soufflet sur la joue de don Juan.

À peine Innocent s’était-il laissé aller à cette violence, qu’il en eut honte, surtout lorsqu’il vit don Juan sanglotant sans avoir jeté un cri. Innocent était vaincu, et il fallut qu’il capitulât. — Vois, mon cher enfant, dit-il tout ému, comme tu m’as rendu méchant pour toi, moi qui t’aime tant. Allons, console-toi ; oublions tout ce qui s’est passé, nous n’en parlerons à personne. » Et il le pressait contre lui, lui baisait le front, lui essuyait les yeux en l’engageant à se calmer. — Dis-moi, don Juan, ajouta le pape en parlant à l’oreille de son neveu, réconcilions-nous ; je veux te donner quelque chose ; que désires-tu ? Voudrais-tu un petit cheval ? » L’enfant, que les sanglots étouffaient encore, fit signe de la tête que non. « Un manteau brodé d’or pour venir à ma cour te plairait peut-être ? » Le petit refusa de nouveau, et toujours sans parler, « Mais enfin s’il y a quelque chose dont tu aies envie, désigne-le-moi ; voyons, parle... » Don Juan, tout en laissant échapper encore un soupir, murmura confusément plusieurs paroles. « Comment ? dit le pape, je ne t’entends pas ; parle donc plus distinctement. Que veux-tu ? » Et approchant son oreille il entendit ces mots qui s’échappèrent de la bouche de l’enfant : « La jolie croix d’or pour maman. »

Le bruit que firent les huissiers en ouvrant la porte interrompit brusquement cette petite transaction, et le pape n’eut que le temps de sourire à son neveu en posant son doigt sur sa bouche pour lui recommander la discrétion, avant que la princesse de Rossano n’entrât. Elle était suivie des princesses Ludovisi et Justiniani, et de la fille de cette dernière, la jeune Olimpia, l’enfant chéri de sa grand’mère la princesse de Saint-Martin, qui méditait déjà son mariage avec un Barberin, bien que la jeune personne n’eût pas atteint sa treizième année. Après les révérences et les tendresses qui furent prodiguées à Innocent, le petit sénat féminin prit place auprès de sa