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mille ne tarda pas à être rassemblée. Dona Agathe, les trois princes, les princesses et le jeune don Juan se mirent tous à genoux. Le saint-père parla avec affection à sa vieille sœur, qu’il félicita d’être religieuse, lui conseillant de profiter de la tranquillité du port où elle pouvait se renfermer, pour éviter les écueils que l’on rencontre à tout âge dans l’océan du monde. Il adressa successivement la parole à tous les autres, mais sans témoigner à aucun d’entre eux, même à la princesse de Rossano, rien de particulièrement tendre. Ce fut moins comme parent qu’en qualité de pontife qu’il leur donna des conseils et leur fit des exhortations. Il semblait que, se défiant de lui-même, il évitât de parler de tout ce qui pouvait le ramener à des sentiments trop humains.

Le jeune don Juan était le seul qui pleurât ; le vieillard s’en aperçut, et la douleur de cet enfant l’embarrassa. Il sentait quelle peine il aurait à surmonter son émotion. « Mon cher dom Juan, dit-il enfin, en prenant la précaution d’envelopper l’expression de ses sentiments du voile austère d’un langage pieux, ne pleurez pas ainsi ; réjouissez-vous plutôt de ce que celui que vous aimez et qui vous aime va passer dans une vie meilleure. Quel que soit le rang que nous sommes appelés à occuper sur la terre, nous ne devons pas oublier qu’il faut mourir ; c’est une nécessité attachée à la nature de l’homme. Dieu, pour nous racheter de la mort éternelle, a soumis jusqu’à son fils à cette condition. Le disciple ne peut être au-dessus du maître ; pasteur indigne d’un troupeau dont la faveur du ciel m’a confié le soin, si éminente que soit cette dignité sur la terre, elle n’affranchit pas de la mort. C’est Dieu, mon fils, qui veut que cela soit ainsi, et vous devez obéir aux ordres de Dieu en le bénissant… Approchez-vous, » ajouta-t-il en s’adressant à tous. Puis, après avoir fait un effort, pour se soulever, il leur donna la bénédiction, et sa main retomba sur le bord du lit. Tous allèrent la baiser.

Le pénitencier du pape ne tarda pas à entrer pour inviter la famille à se retirer, afin que sa sainteté pût jouir du recueillement nécessaire aux actes religieux qu’elle se proposait d’accomplir. Soit que la fatigue eût rendu Innocent in-