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sensible, ou qu’il feignît de le paraître afin de s’éviter des adieux qu’il redoutait, ses parents et dona Olimpia elle-même sortirent de la chambre sans qu’il fît un mouvement ou dît un mot. Ce fut la dernière fois qu’ils le virent ; car à Rome, dès que le clergé a pris possession d’un mourant, le mourant n’a plus rien de commun avec le monde.

Après qu’Innocent se fut confessé et eut reçu l’absolution du père Paul Oliva, jésuite qui avait remplacé le dominicain dom Tomazo, le saint-père éprouva un bien-être et une liberté d’esprit dont l’influence se fit sentir sur toute sa personne. Moins faible et se trouvant même en assez bonne disposition, il ordonna à Paul Oliva de prévenir et de faire entrer chez lui les membres du sacré collège, les officiers et les serviteurs de sa maison.

Sur la demande du pontife, le grand pénitencier lui administra le saint viatique en présence de tous ceux qui étaient entrés, et bientôt il recommanda aux personnes auxquelles il aurait pu faire quelque offense pendant le cours de sa vie et de son règne, de lui pardonner. Un murmure général témoigna des dispositions bienveillantes où tous les assistants étaient à l’égard du malade. Mais Innocent ayant à cœur de prouver qu’il ne faisait pas un acte simple de cérémonial, demanda en élevant la voix autant qu’il put : « Où est mon frère Sforza ? qu’il s’avance. » Le cardinal s’étant approché du lit : « Au nom du Christ notre Sauveur, lui dit le pape, pardonnez-moi. J’ai agi légèrement, j’ai été plus d’une fois injuste à votre égard ; pardonnez-moi mes faiblesses et mes fautes, mon frère ! »

Le cardinal Sforza baisa la main du pape et se retira les larmes aux yeux. Il traversa la foule jusqu’à la pièce voisine, où ceux qui le virent si ému lui en demandèrent avec curiosité la cause. Il rapporta les paroles du pape, puis revenant tout à coup à son naturel impétueux : « Quel brave et saint homme que le pontife ! dit-il en modifiant autant qu’il put l’éclat de sa voix tonnante ; ah ! quel pape c’eût été qu’Innocent sans cette... malheureuse Olimpia ! » Malgré les précautions qu’il croyait avoir prises pour parler bas, ceux qui l’entouraient, ainsi que les cardinaux et les prélats dont la