Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/390

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pape après une pause, mais l’hérésie est mille fois plus à craindre aujourd’hui pour le saint-siége que les enfants de Mahomet. Ceux-ci nous attaquent à force ouverte ; les hérétiques, au contraire, sous couleur de plaider en faveur des vérités chrétiennes, épient nos défauts, signalent nos fautes, recueillent avec une joie maligne les péchés que nous commettons, et parviennent à force d’adresse à semer la discorde entre nous, en nous rendant méprisables les uns pour les autres. Cet horrible piège, mes frères, défiez-vous-en, car nous y tombons tous.

» Vous êtes tous trop pieux, trop éclairés, pour que j’aie besoin de vous détailler les correctifs qu’il faut opposer à de tels maux. Il suffit de dire : Ayez confiance en Dieu, soyez justes, et conformez-vous strictement à la discipline ecclésiastique. Quand les princes de l’Église feront bien, tout ce qui procède d’eux s’améliorera ; tous les hommes, quelque rang qu’ils occupent dans le monde, se feront une gloire de les imiter. Si donc, comme je n’en puis douter, vous avez de justes reproches à nous faire sur notre conduite et notre administration, pardonnez-nous nos fautes, n’oubliez pas notre faiblesse, et combien la tâche que nous avions à remplir était lourde et épineuse. »

Les cardinaux Barberins, Sforza, Cezi, Cecchini et Fabio Chigi, s’approchèrent du saint-père, pour lui témoigner la respectueuse admiration que ses paroles leur inspiraient, et tous conjurèrent le pontife de ne pas abuser du peu de forces qui lui restaient.

« Ah ! dit le pape en dirigeant son regard vers le ciel, pourquoi Dieu n’a-t-il pas permis que la lumière pure qui éclaire aujourd’hui mon âme ait brillé plus tôt, lorsque mon corps avait encore assez de forces pour réaliser mes bonnes pensées !... » Des larmes s’échappèrent des yeux du pontife ; puis rassemblant son courage : « Vous allez choisir bientôt parmi vous, mes frères, dit-il, celui qui doit me succéder. Il en est beaucoup parmi vous que leur piété rend dignes de cet honneur ; mais il faut encore, pour porter sans fléchir le fardeau de la souveraineté, que l’élu se sente à l’épreuve de toutes les tentations, qu’il se sépare des affections ter-