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servi de la faiblesse d’Innocent et des passions de sa belle-sœur, pour entrer dans le sacré collège ; maintenant que ces hommes faisaient partie de ce corps imposant, maintenant que leur participation aux affaires du gouvernement du saint-siége rapprochait leurs intérêts privés de ceux de l’état, ces hommes qui s’étaient élevés à la faveur du désordre, n’en voulaient plus : tant il est vrai que la Providence a voulu que la justice finît toujours par se réfugier là où est la puissance.

L’expérience que les Barberins avaient des hommes et des choses était trop grande pour qu’ils n’eussent pas prévu la demi-défection de leur jeune confrère. De ce moment ils furent certains que Fabio Chigi avait de grandes chances pour être élu, et qu’il était de leur intérêt de redoubler d’efforts, non pas pour le faire exclure, ce qui leur paraissait désormais impossible, mais pour lui opposer Sachetti aussi longtemps qu’ils pourraient, afin de ne céder en faveur de Chigi que quand la reconnaissance de celui-ci serait fortement engagée envers eux.

Cette résolution, qui se forma presque simultanément dans l’esprit des deux frères, ne fut pas communiquée, comme on le pense bien, au cardinal Azzolini, qui, s’apercevant lui-même que ses vues ne cadraient plus avec celles des Barberins, prit congé d’eux, tout en leur prodiguant les protestations de son entier dévouement à leurs volontés.

« Chigi sera élu, dit François à son frère, dès qu’Azzolini fut parti. — Depuis la mort d’Innocent, je n’en ai pas douté un seul instant, répondit François. C’est un événement, ajouta-t-il, qui peut ne pas se réaliser, il est vrai, mais qu’il est bon de supposer accompli, parce que tous les obstacles que nous pouvons rencontrer isolément pendant le règne de tel ou tel autre, nous les trouverons réunis sous le sien. — Vous dites là une chose très-prudente, Antoine. En nous prémunissant d’avance contre l’excessive sévérité de Chigi, nous serons forcés d’étendre notre prévoyance jusqu’aux dangers extrêmes que nous pouvons courir. Sauf ce que le hasard et l’opportunité nous forceront de faire pendant la tenue du conclave, voici, je crois, la règle de conduite que nous devons suivre : nous tiendrons sur les vertus et les mérites incon-