Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/417

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l’accorder dans votre conscience, réfléchissez-y mûrement. Je ne me sens pas la force de gouverner l’Église, non ; et si le sacré collège me choisissait pour exercer ce grand acte, je vous le dis, mon frère, dans toute la sincérité de mon cœur, c’est un fardeau que je porterais comme Notre-Seigneur a traîné sa croix, avec courage et résignation. » En sortant de chez Chigi, Lomellino rencontra Azzolini et de Retz, à qui il rapporta mot pour mot l’entretien qu’il venait d’avoir. « Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, dit tout bas Azzolini à de Retz ; je vais trouver Chigi. »

Le reclus fit cette fois quelques difficultés pour ouvrir sa porte. Cependant il céda aux instances de son confrère, et l’admit dans sa cellule. Azzolini, quoique sur un tout autre ton, entra en matière avec autant de franchise que Lomellino. « Je sais d’avance, mon cher frère, toutes les réflexions, tous les refus mêmes que vous allez opposer à ma requête ; mais ce qui me donnera le courage de vous contredire, c’est que je viens plaider pour des intérêts qui sont bien moins les vôtres que ceux de toute la chrétienté... — Tenez, mon cher Azzolini, interrompit Chigi en ridant son front, je vois que c’est un coup monté pour me pousser d’un côté où je ne veux pas aller, parce que je m’en sens indigne ; ainsi laissez-moi, et brisons là. — Monsieur Chigi, reprit Azzolini avec une espèce de sévérité que tempérait sa physionomie gracieuse, si le malheur voulait que le sacré collège fût composé de cardinaux tellement privés de vertus et de talents, qu’Azzolini se trouvât être par comparaison le premier d’entre eux, il accepterait la tiare si on la lui offrait, parce que ce serait un devoir sacré en ce cas. Le saint-siége avant tout ! »

Chigi n’était pas préparé à cette flatterie ; son front se dérida ; Azzolini s’en aperçut, et prenant tout à coup le ton de la familiarité : « Mais vous voulez donc, continua-t-il, que nous demeurions toute l’année en conclave ? Est-ce que vous êtes la dupe du suffrage improvisé par M. Barberin en sa faveur ? Je ne vous dirai pas qu’il aurait peut-être vu avec quelque plaisir M. Sachetti couronné. M. Sachetti est très-aimé de la cour de France, et les MM. Barberins ont pu pen-