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droit que l’usage lui donnait, alla faire ses politesses à tous les cardinaux avec lesquels il était lié. Si c’eût été au commencement du conclave, peut-être eût-on porté plus d’attention à cette visite ; mais tous les pauvres reclus étaient si las de la monotonie de leur vie ; ils éprouvaient une satisfaction si vive toutes les fois qu’il se présentait pour eux l’occasion de voir et d’entendre un personnage nouveau, que l’on ne pensa pas même aux suites que pourrait avoir la présence de l’ambassadeur d’Espagne, tant on était curieux de le questionner et de lui répondre.

Cependant M. de Terra-Nova avait ses projets. Averti presque journellement de toutes les vicissitudes du scrutin, et instruit par des conclavistes des factions d’Espagne et de France, des chances qu’avait eues et avait encore Sachetti, il se proposait de les ruiner. La veille, il avait reçu du roi son maître une lettre en réponse à celle que le cardinal François Barberin avait écrite à sa majesté catholique, pour lui demander la levée du séquestre des biens que lui et son frère avaient en Espagne. L’ambassadeur en venant au conclave s’était muni de cette pièce importante. Après avoir satisfait la curiosité des plus empressés, il trouva moyen d’entraîner François et Antoine Barberin dans un endroit écarté, où il les interrogea sur leurs dispositions à l’égard de Sachetti, et touchant les chances de Chigi. « Le lieu n’est pas favorable aux longs discours, dit l’ambassadeur ; je me bornerai à vous prévenir que j’ai reçu réponse à votre lettre : tout vous sera rendu si Sachetti n’est pas élu. Voici la signature de sa majesté, » ajouta-t-il en ouvrant la missive du roi d’Espagne. On se sépara. Le duc de Terra-Nova alla de nouveau se mêler à la foule des cardinaux et des conclavistes, qui le reconduisirent respectueusement jusqu’à la dernière porte.

Cette petite récréation fut pour les reclus ce qu’est la rencontre d’une source pour des voyageurs traversant un long désert. Mais quand la joie qu’elle causa fut épuisée, l’ennui des éternels scrutins à trente-deux voix pour Sachetti se fit sentir plus que jamais. La plupart des cardinaux, vieux, valétudinaires, et fatigués d’ailleurs par un séjour incom-