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Des médecins de leurs éminences il passait à leurs confesseurs. Avec ceux-ci il traitait la question plus directement, leur faisait adroitement l’éloge de Chigi, et les assurait que les cardinaux, presque tous portés en sa faveur, n’attendaient qu’un conseil donné avec autorité pour en finir.

Mais l’homme qu’Azzolini entretenait avec le plus d’assiduité était le père Chechi, prédicateur du conclave. Ce jésuite, homme d’esprit et assez éloquent, regardait, ainsi que sa compagnie, le cardinal Fabio Chigi comme l’un de ceux que sa piété et son habileté d’homme d’état rendaient le plus propre à porter remède aux maux qui venaient d’accabler le saint-siége. Ils voyaient d’ailleurs en lui un protecteur zélé de leur ordre ; du moins en préjugeaient-ils ainsi, d’après l’ardeur avec laquelle Chigi s’était employé sous Innocent X à la condamnation des propositions de Jansénius. Azzolini n’avait garde de dissuader le père Chechi à ce sujet ; il lui présentait même, au contraire, Chigi comme un prêtre attaché aux doctrines des successeurs de Loyola, et qui deviendrait sans aucun doute pour eux un zélé protecteur, dès qu’il serait souverain.

Le père Chechi, naturellement imbu de cette idée, la caressa chaque jour davantage, à mesure qu’Azzolini, par ses discours insinuants, lui persuada toujours plus que la majorité des cardinaux lui saurait gré de publier en quelque sorte une opinion qui était celle de tout le monde, bien que personne n’osât la manifester le premier.

Les diètes forcées commandées par les médecins, les conversations des confesseurs et des conclavistes, et plus encore la netteté avec laquelle le père Chechi finit par désigner Fabio Chigi dans ses sermons, produisirent leurs fruits.

C’était le soixante et dix-neuvième jour que la majorité du sacré collège, également indécise, allait recommencer son insignifiant scrutin, lorsque les principaux chefs des factions, qui s’étaient entendus d’avance, proclamèrent tout à coup le nom de Fabio Chigi.

Il faut avoir assisté à des élections pour savoir combien peu de chose suffit pour décider des électeurs qui ont faim, ou seulement besoin de prendre l’air, en faveur du premier