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éprouver pour lui une inquiétude paternelle en le voyant lancé dans une ville si corrompue que Rome, et au milieu d’un monde pour lequel il n’était point fait. Ce fut avec la bienveillance la plus ingénieuse qu’il interrogea et mit à l’épreuve le jeune de Beauvoir, pour découvrir ses goûts, ses dispositions, et l’aider à en diriger l’emploi. Mais toutes ces tentatives furent infructueuses, ou au moins elles n’aboutirent qu’à convaincre le Poussin que son jeune protégé avait une indifférence également complète pour les sciences, les arts et les lettres ; de plus, que le travail de cabinet et tout ce qui se rattachait aux combinaisons politiques lui faisait horreur.

Mais avec tous ces inconvénients, malgré ces défauts même que le Poussin ne se dissimulait pas, il dominait en M. de Beauvoir quelque chose de pur et de grand qui faisait toujours penser au peintre que Dieu ne pouvait avoir lancé une âme si belle dans le monde sans l’avoir armée de quelque faculté qui dût la rendre utile.

En attendant qu’elle se développât, M. de Beauvoir s’adonnait avec passion aux exercices du corps. Outre l’escrime, à laquelle il consacrait avec les Français de l’ambassade quelques heures de la journée, il avait pris un goût particulier pour le jeu de ballon (il calcio), célèbre depuis des siècles en Italie. De tout ce qui se faisait à Rome, c’était le seul usage qu’il eût adopté, et le peu de phrases en italien qu’il ait jamais apprises furent celles que l’on ne peut se dispenser de répéter pour jouer au ballon. Plus la vie de Rome lui devenait insupportable, plus il se livrait avec fureur à son jeu favori. L’ambassadeur, persuadé de son éloignement pour le travail et les affaires, le laissait vivre à sa guise, et sitôt que le jeune de Beauvoir éprouvait quelque contrariété dans le palais de France en entendant ses compagnons parler avec frivolité et indifférence des excès de tous genres qui se commettaient à Rome, il allait au Calcio, d’où il ne sortait plus que quand il avait tué en quelque sorte son âme en fatigant son corps. Un jour que, plus triste encore que de coutume, il avait usé de cette distraction avec plus d’emportement que jamais, tout fatigué qu’il fût, et sans avoir pu se