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débarrasser des idées sombres qui l’assiégeaient, il alla voir le Poussin, qui en dernière analyse était la seule personne dont l’âme fût à l’unisson de la sienne.

En entrant chez le peintre, M. de Beauvoir était encore tellement baigné de sueur, que son hôte l’engagea à se couvrir, et le força à boire un peu de vin d’Orvietto, pour prévenir les effets d’un refroidissement subit. « Vous ne vous gouvernez pas sagement, lui disait l’artiste en le soignant. Les imprudences de ce genre peuvent devenir fatales en ce pays ; » et en parlant ainsi, il l’enveloppait d’un grand manteau, quoiqu’au fond il fût moins inquiet de l’état de sa personne que de celui de son esprit, qui paraissait frappé de quelque idée sombre et sinistre. « Vous n’êtes pas bien, monsieur, disait le Poussin, et peut-être serait-il plus sage que vous allassiez vous mettre au lit. Voulez-vous que je vous accompagne ? » Ces paroles furent prononcées d’un ton si sincère et si affectueux, que le jeune homme, pénétré de reconnaissance, prit et baisa la main de celui qui venait de les lui adresser. « Je ne puis être mieux qu’auprès de vous, monsieur Poussin, répondit de Beauvoir, sitôt que l’émotion lui permit de parler, et tout en m’accusant d’abuser des bontés que vous avez pour moi, je vous avouerai que je suis venu chez vous avec l’espérance de puiser dans vos regards, dans vos conseils, un calme, une paix, une satisfaction de cœur que je ne puis plus retrouver dans aucun lieu de cette horrible ville. — Qu’avez-vous donc, mon cher monsieur, et que vous est-il arrivé de fâcheux ? Veuillez me le dire, afin que je vous aide s’il est possible. — Hélas ! mon Dieu, je suis assez embarrassé pour vous répondre, et peut-être serez-vous aussi de ceux qui se rient de mes susceptibilités. — Allons, parlez ! parlez, monsieur de Beauvoir, répétait avec instance le Poussin, qui vit des larmes s’échapper des yeux du jeune homme. — Eh bien, devant vous, monsieur, je ne craindrai pas de soulager mon cœur, qui ne cesse d’être abreuvé d’amertume depuis que je suis dans ce pays. J’ai été humilié, dit le jeune homme, et bien que mon honneur soit sauf, ajouta-t-il avec une expression de fierté, je ne veux pas demeurer plus longtemps dans une ville et au milieu d’un