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à mesure qu’ils rentraient dans leurs quartiers, des pertes immenses que leur armée venait de subir.

La mort du jeune de Beauvoir exaspéra les troupes. Loin de vouloir que l’on capitulât, elles demandaient au contraire à se mesurer de nouveau avec l’armée espagnole, et ce fut alors le commandant qui se vit contraint de calmer l’effervescence belliqueuse de ses troupes. On avoua la pénurie des vivres et des munitions ; on fit valoir l’avantage que l’on venait de remporter pour obtenir de l’ennemi des conditions plus honorables, et ce ne fut pas sans peine que l’on persuada aux troupes de la garnison qu’il était à propos de se rendre. Elles demandèrent à faire au moins les obsèques du jeune officier. M. de Noailles obtint d’abord une trêve pendant laquelle on satisfit à ce pieux devoir, puis on fit la capitulation dans les termes les plus honorables pour la garnison, qui sortit de la place avec tous les honneurs de la guerre.

Le commandant resta inconsolable de la perte de M. de Beauvoir, et le marquis de Vézelai, dont la conduite militaire, moins brillante sans doute que celle de son jeune ami, n’en avait pas moins été irréprochable, le pleura longtemps. Le jour de la sortie, il avait combattu non loin de lui, et s’il ne l’avait pas assisté au moment où il tombait sous les coups de l’ennemi, c’est que son devoir le retenait ailleurs.

Mais depuis leur arrivée à Porto-Longone et dans les moments de loisir, le marquis n’avait pas cessé de donner des témoignages d’amitié à celui qu’il appelait son brillant élève. Souvent ils s’entretenaient ensemble de leurs parents, de leurs amis et des souvenirs du pays natal. Avec cette disposition si ordinaire quand on vit au milieu des dangers, à parler de l’avenir et à s’abandonner aux pressentiments, les deux officiers s’étaient réciproquement donné des détails sur les personnes dont le souvenir leur était le plus cher. « Si je succombe, disait l’un à l’autre, vous écrirez à celui-ci, à celle-là, puis à cet autre. En cas de malheur, avait répété souvent M. de Beauvoir à M. de Vézelai, après mon père et ma mère, que je vous charge de consoler, instruisez M. Poussin de mon sort. C’est l’homme qui a fait naître en moi le plus de respect