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et d’affection ; aussi tiens-je à honneur de trouver une place dans sa mémoire. »

M. de Vézelai sans avoir fait une étude des arts, n’y était cependant pas aussi étranger que son jeune ami, et le nom du Poussin, déjà fameux, lui était bien connu. Quelque temps après la mort de M. de Beauvoir, et lorsque, remis des fatigues du siége, il prenait quelque repos dans une petite ville de Toscane, il se mit en devoir de remplir les engagements qu’il avait contractés envers son ami défunt. Il écrivit donc à M. de Beauvoir père le parti que son fils avait pris, ses brillants et courts succès, et sa mort héroïque. Puis, après s’être acquitté de ce devoir sacré, il annonça à peu près dans les mêmes termes la destinée si fatalement accomplie du jeune homme, au Poussin.

L’artiste était précisément dans son atelier avec son ami le chevalier del Pozzo, quand il reçut cette lettre. La douleur qu’elle lui fit éprouver fut grande, car elle était très-sincère. M. de Beauvoir avait inspiré au Poussin un intérêt d’autant plus vif, que le jeune Français ne témoignant de goût décidé pour aucune vocation, lui avait fait craindre que sa belle âme, faute d’emploi, restât inactive et ne lui devînt même à charge. Aussi, malgré le premier sentiment de regret que cette mort prématurée excita en lui, le Poussin ne put-il s’empêcher d’éprouver une certaine satisfaction intérieure au récit du développement des talents et de la mort héroïque de son jeune ami. Involontairement il comparait la vie languissante et inutile qu’il menait à Rome avec ce peu de jours d’une existence énergique et bien remplie, pendant lesquels sa belle âme avait trouvé un air plus pur, un champ plus vaste, où elle pût planer à l’aise loin des vapeurs pestilentielles qui rasent la terre. « D’oisif, de batteur de pavé qu’il était ici, s’écria tout à coup le Poussin, en continuant de communiquer ses observations à son ami del Pozzo, vous le voyez, il est devenu un héros. Non, non, je ne saurais le plaindre, répéta plusieurs fois le peintre en essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues, car ce n’est pas d’avoir vécu beaucoup d’années, d’avoir été revêtu d’honneurs, comblé des dons de la fortune, ou même d’a-