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l’intérieur sans être vu par ceux qui étaient dehors. Assis à quelque distance de la fenêtre ouverte sur ce balcon, tous deux entamèrent une conversation qu’interrompaient parfois les éclats de rire, les cris joyeux et les innocentes extravagances de plusieurs jeunes filles jouant au volant sur la pelouse, non loin de la façade du château. C’était de ce balcon qu’ordinairement la comtesse exerçait sa surveillance maternelle sur sa fille, Louise de Soulanges, âgée de quinze ans et demi, celle de toutes qui faisait le plus de bruit en se livrant au jeu.

— Mademoiselle votre fille s’amuse de bien bon cœur, à ce que j’entends, dit M. de Lébis, tout en portant sa tête à droite et à gauche, pour lancer au passage quelques coups d’œil entre les balustres sur la bruyante petite joueuse.

— Elle est si jeune, si enfant même, malgré ses seize ans bientôt ! Je l’avoue, j’ai rarement vu une jeune personne de son âge, douée comme elle d’intelligence et d’un esprit passable, qui ait conservé aussi longtemps les manières, les goûts et les habitudes mêmes d’un enfant.

M. de Lébis allait faire quelques observations ; mais madame de Soulanges eut l’air de ne pas s’en apercevoir, et elle continua :

— Cette disposition chez ma fille est tellement forte, que j’ai été, en quelque sorte, entraînée à lui donner une éducation toute particulière, ce qui a été parfois l’objet des observations critiques de mes amis. Vous avez dû entendre parler dans le monde de ma singularité à cet égard, n’est-il pas vrai ?

— Mais... madame... quelquefois, en effet, plusieurs personnes ont témoigné leur étonnement de ce que vous viviez constamment dans la retraite avec votre famille ; mais il m’a semblé que c’était plutôt l’expression du regret de ne pas vous voir plus souvent dans le monde, qu’un blâme même léger que l’on se permît sur votre manière d’être.

— Cette enfant, continua la comtesse en faisant un sourire de remercîment à Edmond, m’a souvent fort embarrassée ; et... elle est encore à présent... l’objet de quelques inquiétudes dont je ne craindrai pas de vous entretenir, après les