Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/43

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Tous deux sont innocens, le tort est à son cœur :
Un vase impur aigrit la plus douce liqueur.
Le doux plaisir des champs fuit une pompe vaine :
L’orgueil produit le faste, et le faste la gêne.
Tel est l’homme ; il corrompt et dénature tout.
Qu’au milieu des cités son superbe dégoût
Ait transporté les bois, les fleurs et la verdure ;
Je lui pardonne encor : j’aime à voir la nature,
Toujours chassée en vain, vengeant toujours ses droits,
Rentrer à force d’art chez les grands et les rois.
Mais je vois en pitié le Crésus imbécille
Qui jusque dans les champs me transporte la ville :
Avec pompe on le couche, on l’habille, on le sert ;
Et Mondor au village est à son grand couvert.
Bien plus à plaindre encor les jeunes téméraires
Qui, lassés tout à coup du manoir de leurs pères,
Vont sur le grand théâtre, ennuyés à grands frais,
Transporter leurs champarts, leurs moulins, leurs forêts ;
Des puissances du jour assiégent la demeure,
Pour qu’un regard distrait en passant les effleure,
Ou que par l’homme en place un mot dit de côté
D’un faux air de crédit flatte leur vanité.
Malheureux qui bientôt reviendront, moins superbes,
Et vendanger leur vigne et recueillir leurs gerbes,
Et sauront qu’il vaut mieux, sous leurs humbles lambris,
Vivre heureux au hameau qu’intrigant à Paris.