Page:Delluc - Monsieur de Berlin, 1916.djvu/10

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carte, il nous apaisait, révélant qu’il était prisonnier dans un camp prussien.

J’allais le revoir ; et cette joie soudaine, brutale, me poignait si fort que je devenais exigeant, d’une fièvre insurmontable. La nuit se passa dans un labyrinthe de questions, où je jouais moi-même avec ma hâte. La chaleur hermétique du compartiment où nous étions, en nombre strict, embarillés, n’était pas pour me faire plus raisonnable. Dehors, c’était la nuit fraîche de juillet, ce commencement subtil de l’été 1915 qui prenait d’une heure à l’autre des airs de printemps et même d’hiver, et même, enfin, d’été. Ce soir-là, il pleuvait de nettes gouttes d’étoiles dans la lumière ample de la lune.

Et le train roulait, allait me sortir de France ; et, peut-être, demain, dans les rues de Lausanne, rencontrerai-je des figures ennemies, comme l’année d’avant, où tant de voix germaniques peuplaient la sonorité des palaces. N’importe, après tout, les moments de haine que je connaîtrais sans doute à ces contacts : je ne pensais qu’à voir Claude, et à savoir, avidement.

Il me commenterait le détail de ses petits billets éloquents et spartiates qu’il m’envoyait du champ de bataille. Il me dirait ses blessures, ses départs, ses prisons, et ce retour, ce retour surtout…