Page:Delluc - Monsieur de Berlin, 1916.djvu/36

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tion. Je lus, au moins je pris un livre, plusieurs livres, je sortis, j’allai sur les routes, sur le quai, où il y a un si brave petit jardin avec une « restauration » qui est à la mode, et je pus librement penser que j’étais un sot de n’avoir pas tiré un mot d’explication au monsieur de Berlin et à son enthousiasme furieux.

Il me fallut attendre le lendemain avant de le voir, mais je m’y résignai avec une tranquillité qui m’étonna : je supportai ces heures interminables de la fin d’après-midi avec la pensée confiante que ce que j’apprendrais le lendemain me récompenserait hautement de ma patience. Anna sentait ma préoccupation et, cédant à son goût délicieux du tact, n’essayait même pas de me plaisanter sur mon silence tourmenté.

Claude n’y prenait pas garde, lui. Il vivait comme dans un rêve. De temps en temps il contait une journée de sa campagne ou un épisode de sa captivité. Mais il était bien plus avide de goûter son bonheur et de s’y attarder du fond de l’âme. Il était heureux comme il paraît sacrilège de l’être, païennement, dévotement, entièrement. Il avait la prudence de ne pas le dire et se contentait de rire ou de se taire en dégustant les chimies délicates de Jenny, la cuisinière.