Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/107

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« Chers amis,

« Je vous écris entre deux feuilletons, car j’en suis là maintenant : ma galère est devenue une trirème. Je suis bien heureux que l’article vous ait plu et croyez-le très sincère. Votre livre m’a ravi, ravi et navré. J’en ai eu, trois jours, l’imagination tout en deuil. Céline est exquise. Je la vois d’ici « avec sa mine longue. » Où diable avez-vous pris tous ces petits détails de dévotion enfantine ? C’est de l’auscultation psychologique, s’il en fut jamais. J’ai passé par là, moi qui vous parle. Le pensionnat des Jésuites, à Fribourg, où j’ai été élevé, ressemblait, en homme, à votre couvent. J’ai senti, en vous lisant, se ranimer mes anciennes ferveurs. « Veteris agnosco vestigia flammae. » En vérité, j’ai été attendri, comme un vieux serpent à qui on montrerait sa jeune peau.

« J’ai de bonnes nouvelles à vous donner de votre livre. On m’en a fait, de tous les côtés, mille éloges, à propos de mon feuilleton, et Bourdillac me dit qu’il s’envole… »

M. Bourdillac, un des associés de la Librairie nouvelle, se faisait illusion quand il assurait que le livre s’envolait. La vérité est qu’après la faillite de la maison, l’édition presque entière traîna, en fonds, chez les marchands de livres au rabais et que son succès ne se mit à luire qu’au temps de la réimpression par la librairie Charpentier, en 1876.

Avec une sincérité parfaite, le lendemain de la mise en vente, J. de Goncourt demandait son avis à G. Flaubert, dans la forme spirituelle et semi-gouailleuse qui lui est propre :

« Bar-sur-Seine, 10 juillet 1861.

« Vous avez reçu notre roman qui a fini par paraître.

« Quand vous l’aurez lu, nous serions bien heureux d’avoir votre jugement et votre sensation. Nous y tenons d’autant plus que nous ne savons guère ce que nous avons fait. Ce livre est le plus impersonnel de