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rouge, le livre tel qu’il a été laissé par le propriétaire après sa dernière lecture.

Samedi 31 décembre. — J’entre chez Roos, le boucher anglais du boulevard Haussmann. Je vois toute sorte de dépouilles bizarres. Il y a au mur, accrochée à une place d’honneur, la trompe du jeune Pollux, l’éléphant du Jardin d’acclimatation, et, au milieu de viandes indevinables et de cornes excentriques, un garçon offre aux clients des rognons de chameau.

Le maître-boucher pérore au milieu d’un cercle de femmes : — « C’est quarante francs la livre pour le filet et pour la trompe… Oui, quarante francs !… Vous trouvez cela cher, Mesdames, mais je vous donne ma parole que je ne sais comment je vais m’en tirer… Je comptais sur trois mille livres, et Pollux n’a produit que deux mille trois cents… Les pieds, vous me demandez le prix, c’est vingt francs ! — Ah ! permettez-moi de vous recommander le boudin ; le sang de l’éléphant, vous ne l’ignorez pas, c’est le sang le plus généreux ; son cœur, savez-vous, pesait vingt-cinq livres… et il y a de l’oignon dans mon boudin ! »

Mardi, 24 janvier 1871. — Chez Brébant, dans la petite antichambre qui précède le grand cabinet où l’on dîne, tout le monde comme brisé et épars sur le canapé, les fauteuils, parle à voix basse, ainsi que dans la chambre d’un malade, des tristes choses du jour et du lendemain qui nous attend. On se demande si Trochu n’est pas un fou. À ce propos Berthelot dit avoir eu communication d’une affiche imprimée, mais non affichée, destinée à la mobile, où Trochu parle de Dieu et de la Vierge, comme en parlerait un mystique… On se met à table ; chacun tire son morceau de pain… Un garçon place sur la table une selle de mouton.

— « Messieurs, dit Hébrard, regardant la chose, vous verrez qu’on nous servira le berger à notre prochain dîner ! »

— « Du chien ! Vous dites que c’est du chien, s’écrie Saint-Victor, avec la voix pleurarde d’un enfant en colère. — N’est-ce pas, garçon, que ce n’est pas du chien ? »

— « Mais c’est la troisième fois que vous en mangez ici, » lui jette quelqu’un.

— « Non, ce n’est pas vrai, reprend Saint-Victor. M. Brébant est un honnête homme, il nous préviendrait… Le chien est une viande impure — fait-il avec une horreur comique, — du cheval, du cheval, oui, mais pas de chien ! »

« — Chien ou mouton, s’écrie Nefftzer, la bouche pleine, je