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Mme A. Daudet écrivait à M. E. de Goncourt :

Saint-Estève, par Orgon (Bouches-du-Rhône), août 1885.

Quelle consternation ici ! Justement on venait de vous adresser une dépêche ! La chambre au midi vous attend toute prête, en chapelle. Des rideaux, des portières, et, le soir, nous y entrions dès l’arrivée. — « Est-ce ainsi ? M. de Goncourt sera-t-il content ? » — l’édredon bouffait sur le couvrepied et, à table, on parlait de gibier, de bouillabaisse que l’on préparerait jeudi pour M. de Goncourt !

Sérieusement le soleil est tout pâle sur le jardin et le jet d’eau pleure, et j’ai bien envie d’en faire autant. C’était de si belles vacances ! un changement d’air vous ferait du bien ! À Lamalou, j’étais toute souffrante. Le docteur m’a dit : « Partez, changez d’air… » et j’ai bonne mine aujourd’hui. Je mange et je regardais tout à l’heure délicieusement ce joli ciel, ces arbres clairs, cette ombre bleue des allées. Tout est gâté maintenant. Un peu de courage, voyons, pour les amis ! On vous gâtera, on vous soignera ; vous ne vous doutez pas de l’affection vénérante de tout le monde pour vous !

Une autre dépêche en grâce, demain, après-demain. Sitôt cette petite crise de paresse dissipée, car, au fond, vous trouvez que Saint-Estève, c’est bien loin d’Auteuil. On est pourtant vite rendu, et, à Avignon, la voiture vous amènerait directement.

Si vous n’avez pas un cœur dur, à l’épreuve du fer et de la mine, il faut venir, ne pas nous laisser à tous cette grande déconvenue. Oui ! l’on vous attend encore, malgré tout et l’on vous espère avec entêtement, et on vous aime bien, bien que vous ne le méritiez plus.

Julia A. Daudet.

M. Edmond de Goncourt à Mme A. Daudet :

Château de Jean d’Heurs, Bar-le-Duc (Meuse), août 1885.
Chère madame.

Que vous êtes gentille, bonne, amicale, mais, vraiment, je ne peux pas ! Quand je retourne mon manuscrit qui a l’air d’un livre fait, je vois qu’il manque encore tant de choses, tant de choses qui ne sont peut-être que des riens… mais des riens demandant infiniment de temps encore[1]. Si je pouvais travailler chez les autres. Mais non ! En dehors de mon chez-moi

  1. Publication de la correspondance de Jules.