Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/340

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fidèlement les hommes et les choses tels qu’ils se sont reflétés dans mon esprit. Le miroir est assurément défectueux : les contours y seront quelquefois faussés, l’image distincte ou confuse ; mais je me crois tenu de vous montrer aussi exactement quel est ce reflet que si j’étais sur le banc des témoins, faisant ma déposition sous serment. Je découvre une source inépuisable d’intérêt dans ces représentations fidèles d’une monotone existence domestique qui a été le lot d’un bien plus grand nombre de mes semblables qu’une vie d’opulence et d’indigence absolue, de souffrances tragiques ou d’actions éclatantes. Je me détourne sans regret de vos sybilles, de vos prophètes, de vos héros pour contempler une vieille femme penchée sur un pot ou mangeant son dîner solitaire… ou encore cette noce de village qui se célèbre entre quatre murs enfumés, où l’on voit un lourdaud de marié ouvrir gauchement la danse avec une fiancée aux épaules remontantes et à la large face. »

Mais la littérature anglaise, presque inconnue en France, il y a trente ans, à l’exception des œuvres de Walter Scott et de Byron, ne semble pas avoir exercé une influence directe sur les écrivains français. Quoiqu’ils se rattachassent aux mêmes principes, les livres des romanciers anglais et Germinie Lacerteux différaient sur plus d’un point important. La préoccupation d’art dominait dans cette dernière. Sans compter, et cette idée est bien contraire à la croyance générale, qu’en créant ce qui fut appelé plus tard le naturalisme, les Goncourt cédaient fatalement à une élégance native de l’esprit non moins qu’au besoin d’élargir les cadres du roman. En effet, c’est une loi d’esthétique que quand l’objet présenté aux yeux et à la pensée est repoussant et