Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/38

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née 1836, un de mes oncles possédait une propriété à Ménilmontant, une grande habitation en forme de temple, avec un théâtre en ruine, au milieu d’un petit bois : l’ancienne petite maison donnée par un duc d’Orléans à Mlle Marquise. L’été, ma mère, ma tante et une autre de ses belles-sœurs dont le fils, l’un de mes bons et vieux amis, est aujourd’hui ministre plénipotentiaire de France en Bavière, habitaient, toute la belle saison, cette propriété : les trois ménages vivant dans une espèce de communauté de tout le jour. Moi, j’étais à la pension Goubaux et, tous les dimanches où je sortais, voici à peu près quel était l’emploi de la journée : vers les deux heures, après un goûter qui était, je me rappelle, toujours un goûter de framboises, les trois femmes, habillées de jolies robes de mousseline claire et chaussées de ces petits souliers de prunelle dont on voit les rubans se croiser autour des chevilles, dans les dessins de Gavarni de la Mode, descendaient la montée, se dirigeant vers Paris. Un charmant trio que la réunion de ces trois femmes : ma tante, avec sa figure brune, pleine d’une beauté intelligente et spirituelle ; sa belle-sœur, une créole blonde, avec ses yeux d’azur, sa peau blanchement rosée et la paresse molle de sa taille ; ma mère, avec sa douce figure et son petit pied. Et l’on gagnait le boulevard Beaumarchais et le faubourg Saint-Antoine. Ma tante se trouvait être, à cette époque, une des quatre ou cinq personnes de Paris énamourées de vieilleries, du beau des siècles passés, des verres de Venise, des ivoires sculptés, des meubles de marqueterie, des velours de Gênes, des points d’Alençon, des porcelaines de Saxe. Nous arrivions chez les marchands de curiosités, à l’heure où, se disposant à partir pour aller dîner en quelque tourne-bride près Vincennes, les volets étaient