Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/358

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pouvoir de la former ; et cela suffit. L’idée telle quelle que nous avons de l’Être parfait, est un effet de ce pouvoir ; et notre existence, à nous qui sommes capables de cette idée, est ce pouvoir même.

Mais quelle est la cause de cette idée en nous, et quelle est la cause de notre existence ? La question de causalité, que Descartes se pose ainsi doublement, va lui permettre de s’élever, comme d’un bond et immédiatement, jusqu’à l’Être parfait qui existe, jusqu’à Dieu. Les théologiens furent étonnés : Caterus, Arnauld. Ils n’avaient pas encore vu la causalité appliquée ainsi à une idée ; saint Thomas ne s’en servait que pour des existences particulières, causes secondes elles-mêmes, et par lesquelles, en vertu de cette causalité, on remontait de cause en cause jusqu’à la cause première. Tout autre est le procédé de Descartes : il n’a que faire de cette longue chaîne de causes qui peut aller à l’infini, et ne le conduirait pas où il veut ; il s’en tient au premier anneau, et le rattache immédiatement à un terme solide, au delà duquel plus n’est besoin de remonter. Je suis, Dieu est, c’est encore là une double vérité, connue comme une seule, sans raisonnement, mais par intuition. Un tel emploi de la causalité, entendez celle de la cause efficiente, est-il légitime ? Plus tard, lorsque la critique des philosophes modernes se sera exercée sur ce principe, il deviendra difficile d’en faire l’application en dehors des phénomènes qui sont dans l’espace et dans le temps ; on en réglera l’usage, on le bornera au relatif, avec interdiction de le transporter dans l’absolu. Déjà Arnauld et Caterus faisaient des réserves. Ma pensée a besoin d’une cause qui est Dieu, mais Dieu n’a plus besoin de cause, parce qu’il est à lui-même sa cause : il est par lui-même ou par soi, a se, comme par une cause[1]. Ce comme, ajouté par Descartes, indique bien qu’ici, dans l’absolu, les mots ont un sens différent. Notre philosophe s’en rend compte, et le métaphysicien

  1. Tome VII, p. 231-232 ; et p. 235, l. 15, à p. 245, l. 24. Et t. IX, p. 179-180 et p. 182-189.