Page:Destutt de Tracy - Élémens d’idéologie, première partie.djvu/439

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naissons que l’existence de notre moi sentant, toutes nos perceptions se confondent nécessairement les unes dans les autres à mesure qu’elles nous arrivent. Plusieurs simultanées ne nous paraissent qu’une ; nous n’avons aucun moyen d’en distinguer nettement deux en même temps. Donc nous ne pouvons porter aucun jugement, encore moins former des desirs, encore moins exécuter des mouvemens en vertu de ces desirs. Tout cela supposé vrai, il s’ensuivrait que si des mouvemens volontaires étaient nécessaires pour nous apprendre l’existence d’êtres autres que notre moi, nous ne l’apprendrions jamais. Aussi, quand je pensais ainsi je croyais en même temps que des mouvemens fortuits étaient suffisans pour nous faire découvrir l’existence des corps.

Aujourd’hui je crois que des mouvemens voulus peuvent seuls nous conduire à cette connaissance ; mais en même temps il me paraît prouvé par la théorie et par les faits, que, par cela seul que nous percevons une sensation, nous pouvons porter au moins le jugement qu’elle est agréable ou désagréable d’une certaine manière, et par conséquent former le desir de l’éprouver ou de l’éviter ; et qu’ainsi, sans connaître d’autre existence que celle de notre moi sentant, nous pouvons concevoir le désir d’éprouver la sensation de mouvement.

Donc aussi la simple sensation, le seul sentiment de notre moi sentant d’une certaine manière, la seule conscience de notre existence sentante, suffit pour faire naître souvenirs, jugemens et desirs, pour mettre en action la mémoire, le jugement et la volonté.