Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

arrivé si Dora et moi nous ne nous étions jamais connus ? Mais elle était tellement mêlée à toute ma vie que c’était une idée fugitive qui bientôt s’envolait loin de moi, comme le fil de la bonne Vierge qui flotte et disparaît dans les airs.

Je l’aimais toujours. Les sentiments que je dépeins ici sommeillaient au fond de mon cœur ; j’en avais à peine conscience. Je ne crois pas qu’ils eussent aucune influence sur mes paroles ou sur mes actions. Je portais le poids de tous nos petits soucis, de tous nos projets Dora me tenait mes plumes, et nous sentions tous deux que les choses étaient aussi bien partagées qu’elles pouvaient l’être. Elle m’aimait et elle était fière de moi ; et quand Agnès lui écrivait que mes anciens amis se réjouissaient de mes succès, quand elle disait qu’en me lisant on croyait entendre ma voix, Dora avait des larmes de joie dans les yeux, et m’appelait son cher, son illustre, son bon vieux petit mari.

« Le premier mouvement d’un cœur indiscipliné » Ces paroles de mistress Strong me revenaient sans cesse à l’esprit ; elles m’étaient toujours présentes. La nuit, je les retrouvais à mon réveil ; dans mes rêves, je les lisais inscrites sur les murs des maisons. Car maintenant je savais que mon propre cœur n’avait point connu de discipline lorsqu’il s’était attaché jadis à Dora ; et que, si aujourd’hui même il était mieux discipliné, je n’aurais pas éprouvé, après notre mariage, les sentiments dont il faisait la secrète expérience.

« Il n’y a pas de mariage plus mal assorti que celui où il n’y a pas de rapports d’idées et de caractère. » Je n’avais pas oublié non plus ces paroles. J’avais essayé de façonner Dora à mon caractère, et je n’avais pas réussi. Il ne me restait plus qu’à me façonner au caractère de Dora, à partager avec elle ce que je pourrais et à m’en contenter ; à porter le reste sur mes épaules, à moi tout seul, et de m’en contenter encore. C’était là la discipline à laquelle il fallait soumettre mon cœur. Grâce à cette résolution, ma seconde année de mariage fut beaucoup plus heureuse que la première, et, ce qui valait mieux encore, la vie de Dora n’était qu’un rayon de soleil.

Mais en s’écoulant, cette année avait diminué la force de Dora. J’avais espéré que des mains plus délicates que les miennes viendraient m’aider à modeler son âme, et que le sourire d’un baby ferait de « ma femme-enfant » une femme. Vaine espérance ! Le petit esprit qui devait bénir notre