Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/192

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revenait à l’esprit ; et ce sujet à lui tout seul eût suffi pour lui tenir compagnie pendant la plus longue des promenades, Puis il y avait encore ses relations, maintenant établies sur un pied d’égalité pacifique, mais non de confiante intimité, avec sa mère qu’il voyait plusieurs fois par semaine. La petite Dorrit était encore un de ses sujets de réflexion, le principal peut-être et le plus souvent présent à sa pensée : car les circonstances de sa vie unies à celle de l’histoire de la jeune fille lui présentaient ce petit être comme la seule personne à laquelle il fût attaché par des liens quelconques, liens d’une innocente confiance d’un côté et d’une protection affectueuse de l’autre ; liens de compassion, de respect, d’affection désintéressée, de reconnaissance et de pitié. Il songeait à elle et aux chances qu’il y avait pour que le doyen fût bientôt délivré de son long emprisonnement par la main de la mort qui tire tous les verrous, seul accident qui pût permettre à Clennam de rendre à la jeune fille le service qu’il désirait lui rendre, en changeant de fond en comble sa manière de vivre, en lui aplanissant l’avenir et en lui donnant un chez elle. Il avait fini par faire, dans sa pensée, sa fille d’adoption, de cette enfant de la prison à laquelle il voulait assurer un sort paisible. S’il existait dans son esprit un autre sujet de méditation qui concernât la ville de Twickenham, la forme en était si indécise qu’elle ne représentait guère qu’une espèce d’atmosphère ambiante où flottaient ses autres rêveries.

Il venait de traverser la bruyère lorsqu’il se rapprocha d’un piéton qui marchait devant lui, depuis quelque temps, et qu’il crut bientôt reconnaître à un je ne sais quoi dans ses airs de tête et dans sa tournure réfléchie pendant qu’il s’avançait d’un pas délibéré. Mais, aussitôt que ce compagnon de voyage eut repoussé son chapeau en arrière pour s’arrêter à examiner quelque chose devant lui, Arthur ne put plus méconnaître Daniel Doyce.

« Comment vous portez-vous, monsieur Doyce ? dit Clennam, en le rejoignant. Je suis charmé de vous retrouver dans un endroit moins insalubre que les bureaux du ministère des Circonlocutions.

— Ah ! l’ami de M. Meagles ! s’écria le malfaiteur, se réveillant de quelques combinaisons mentales qu’il était en train de faire, et lui tendant la main. Je suis charmé de vous voir, monsieur. Excusez-moi seulement d’avoir oublié votre nom ?

— De tout mon cœur. Ce n’est pas un nom célèbre. Je ne m’appelle pas Mollusque.

— Non, non, répondit Daniel en riant. Et maintenant je me le rappelle. C’est Clennam. Comment vous portez-vous, monsieur Clennam ?

— J’espère bien, continua Arthur en faisant route avec lui, que nous dirigeons nos pas vers le même endroit, monsieur Doyce ?

— Vers Twickenham, alors ? répliqua Daniel. Tant mieux ! »

Ils devinrent bientôt très intimes et abrégèrent le chemin par