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NICOLAS NICKLEBY.

venant Les voitures de louage, milord, sont tellement désagréables, qu’il vaut presque mieux aller à pied que de les prendre ; car, quoique je croie qu’un cocher qui a un carreau de cassé puisse être condamné à la déportation perpétuelle, cependant ils sont si négligents, qu’ils ont presque tous des carreaux cassés. J’ai eu une fois la joue enflée pendant six semaines, milord, pour être montée dans une voiture de louage… La voiture dont je parle était d’un vert foncé, et marquée d’un long numéro, commençant par un zéro et finissant par un neuf… c’est-à-dire commençant par un neuf et finissant par un zéro.

Après s’être ainsi expliquée, madame Nickleby s’arrêta aussi brusquement qu’elle s’était lancée, et conclut en répétant que Catherine se portait parfaitement bien.

— Vraiment, dit-elle, je ne crois pas qu’elle se soit mieux portée depuis qu’elle a eu la coqueluche, la fièvre scarlatine et la rougeole tout à la fois. — Cette lettre est-elle pour moi ? grommela Ralph, montrant le petit paquet que tenait madame Nickleby. — C’est pour vous, mon beau-frère ; et je suis venue jusqu’ici, à pied, tout exprès pour vous l’apporter. — Jusqu’ici à pied ! s’écria sir Mulberry ; mais vous ne comptez certainement pas vous en retourner de même. — Oh ! non ; je prendrai l’omnibus ; je n’allais pas en omnibus, du vivant de mon pauvre Nicolas ; mais aujourd’hui, vous le savez, mon beau-frère… — Lord Frédéric, dit sir Mulberry, nous allons du côté de madame Nickleby, nous la conduirons jusqu’à l’omnibus. — Avec beaucoup de plaisir. — Oh ! Messieurs, c’est trop de bonté.

Les deux amis prirent chacun un bras de madame Nickleby et sortirent. Cette bonne dame était ravie non moins des attentions dont l’honoraient deux personnages titrés, que de l’idée que Catherine pouvait maintenant choisir entre deux grandes fortunes et des maris dans le dernier goût.

— Je ne contrarierai jamais son inclination, se dit-elle, quoiqu’elle eût quitté les deux amis, et qu’elle fût installée dans la voiture. Elle ne m’a jamais dit un mot de ces messieurs, et c’est une preuve certaine qu’elle éprouve un vif penchant pour l’un d’eux. Lequel est-ce ? Le lord est plus jeune, d’un rang plus élevé, mais je pense qu’il n’y a pas de comparaison à établir entre Sa Seigneurie et sir Mulberry. Sir Mulberry a des manières si distinguées, il est si attentif, si bel homme ! il y a tant de choses qui parlent en sa faveur ! J’espère qu’elle aura choisi sir Mulberry ! Je suis convaincue que ce doit être sir Mulberry !

Pendant que la vieille dame ruminait ainsi, Ralph marchait à grands pas dans son bureau, l’esprit troublé de ce qui s’était passé. Dire que Ralph aimait qui que ce fût au monde, dire qu’il s’inquiétait d’une seule des créatures de Dieu, ce serait