Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/138

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— C’était un terrible garçon ce soir-là, n’est-ce pas, madame Browdie ? dit Nicolas, un vrai tigre.

— Ah ! c’est quand nous sommes retournés à la maison, monsieur Nickleby, qu’il fallait l’entendre. C’est là que c’était un vrai tigre, répliqua Mathilde ; je n’ai jamais eu si grand’peur de ma vie.

— Allons, allons, dit John en ricanant avec une bouche grimaçante, vous vous faites plus peureuse que vous n’êtes.

— C’est si vrai, répliqua Mme Browdie, que j’étais presque décidée à ne vous reparler de ma vie.

— Presque, dit John ricanant encore plus fort, presque décidée ! et tout le long du chemin elle ne faisait que me câliner et me cajoler… Pourquoi donc, lui disais-je, vous êtes vous laissé courtiser par ce garçon-là (c’était de vous que je parlais). — Je vous assure que vous vous trompez, me disait-elle, et elle me serrait le bras. — Ah ! je me trompe, que je lui disais. — Oui, qu’elle me répondait, et elle me serrait encore plus fort.

— Mon Dieu ! John, s’écria sa jolie petite femme pour arrêter ce torrent de réminiscences indiscrètes, en rougissant jusque dans le blanc des yeux, comment pouvez-vous dire des bêtises pareilles ? Comme si jamais j’avais seulement songé à ce que vous dites là !

— Je ne sais pas si vous y aviez songé, quoique j’en sois à peu près sûr ; mais, répliqua John, ce que je sais bien, c’est que vous le faisiez tout de même… Oui, que je lui disais, vous êtes une inconstante, une infidèle, une vraie girouette. — Non, je ne suis pas une infidèle, qu’elle me disait. — Ne me dites pas cela, que je lui répondais, après ce qui s’est passé avec le jeune maître de là-bas. — Lui ! qu’elle me faisait en se récriant. — Oui, lui ! — Tenez, John, qu’elle me dit en se rapprochant de mon oreille et en me serrant toujours le bras de plus en plus fort, croyez-vous vraiment possible qu’ayant un bel homme comme vous pour me faire la cour, j’aurais voulu vous changer pour un méchant petit père fouetteur comme lui ?… Voilà ce qu’elle a dit. Ha ! ha ! ha ! elle vous a appelé père fouetteur. Ma foi ! là-dessus je lui ai dit : Eh bien ! vous n’avez qu’à fixer le jour des noces, et ne pensons plus à cela. Ha ! ha ! ha ! »

Nicolas rit de bon cœur à ce récit, surtout en ce qu’il avait de peu flatteur pour son amour-propre, charmé de donner ainsi le change aux inquiétudes de Mathilde, dont les protestations se trouvèrent noyées dans l’hilarité générale. La bonne humeur de Nicolas la mit donc à son aise, et, tout en désavouant le propos qu’on lui prêtait, elle en rit elle-même si franchement