Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/150

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— Place pour le fils aîné de l’empereur de Russie, messieurs ! » cria l’autre.

Sans faire attention à ces plaisanteries toujours sûres de l’accueil le plus sympathique lorsqu’elles s’attaquent dans la foule aux personnes bien mises, Nicolas regarda négligemment autour de lui, et, s’adressant au jeune gentleman qui avait eu le temps de ramasser ses pantoufles et de les chausser, il lui répéta d’un air courtois sa question.

« Oh mon Dieu ! rien du tout, » répondit-il.

Là-dessus il s’éleva un murmure des spectateurs, et quelques-uns des plus hardis se mirent à crier : « Ah ! rien du tout ! — Excusez du peu ! — Rien du tout, hein ! — Il appelle cela rien, ce monsieur, il est bien heureux de trouver que ce n’est rien. » Après avoir épuisé leur répertoire d’expressions ironiques du même genre, deux ou trois individus de l’écurie commencèrent à bousculer Nicolas et le jeune gentleman, auteur du tumulte, tantôt tombant sur eux par accident, tantôt leur marchant sur les pieds, et ainsi de suite. Mais, comme chacun pouvait en prendre sa part en payant son écot, et que ce n’était pas ici comme une partie de cartes, où le nombre de joueurs est nécessairement limité, John Browdie se mit aussi de la partie, et faisant une trouée dans la foule, au grand effroi de sa femme, tombant à droite, tombant à gauche, tombant en avant, tombant en arrière sur ceux qui le gênaient, enfonçant même du coude par occasion le chapeau du plus grand des deux valets d’écurie, qui s’étaient montrés particulièrement hostiles à la cause de Nicolas, il fit bientôt prendre une autre tournure à l’affaire, et plus d’un gaillard solide se recula en boitillant à distance respectueuse, maudissant, les larmes dans les yeux, le lourdaud de campagnard dont le pied venait d’écraser le sien.

« Que je le voie recommencer, dit le monsieur qui avait été étendu dans le coin d’un coup de pied dans le derrière, se relevant en même temps, non pas comme on pouvait le croire, pour prendre sa revanche contre son adversaire, mais de peur que Browdie, sans y faire attention, ne lui marchât sur le corps, que je le voie recommencer ! je ne dis que ça.

— Eh bien ! moi, que je vous entende recommencer vos observations, dit le jeune homme, et je vais d’un coup de poing vous envoyer la tête au beau milieu de ces verres à boire qui sont là derrière vous. »

Là-dessus, un des garçons, qui n’avait cessé de se frotter les mains de plaisir en voyant cette scène divertissante, tant qu’il s’était agi seulement de casser des têtes et non des verres, con-