Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/176

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tention que le grand laquais. En effet, dans son effroi d’entendre sortir ces sons gutturaux d’entre ses doigts, pour ainsi dire, il laissa tomber lourdement sur le parquet la tête de son maître, qui sonna le creux en tombant, et, sans essayer seulement de la relever, se mit à regarder fixement l’assistance, comme s’il venait de faire un chef-d’œuvre.

« Quoi qu’il en soit, continua Mme Mantalini séchant ses larmes et parlant avec beaucoup d’indignation, je suis bien aise de cette occasion pour dire devant vous et devant tout le monde, une fois pour toutes, que je ne veux plus continuer à entretenir les extravagances et les désordres de monsieur. J’ai eu assez longtemps la sottise d’être sa dupe. Désormais, il se tirera d’affaires comme il pourra, et dépensera autant d’argent qu’il voudra, aux frais ou au profit de qui bon lui semblera, mais non pas à mes dépens ; et par conséquent vous ferez bien de ne plus vous y fier maintenant. »

Là-dessus, Mme Mantalini, insensible comme un marbre aux lamentations les plus pathétiques de la part de son mari, le laissa maudire l’apothicaire de ne pas avoir mis dans la fiole une dose d’acide prussique assez forte, et se consoler en pensant qu’il allait prendre encore une fiole ou deux pour en finir. Puis elle se mit à dérouler la liste des nombreux méfaits de cet aimable gentleman, de ses galanteries, de ses trahisons, de ses extravagances, de ses infidélités (surtout de ses infidélités). Puis elle finit par protester contre l’idée qu’on pût croire qu’elle conservât pour lui le moindre reste d’affection, et par donner en preuve de son indifférence absolue qu’elle l’avait laissé s’empoisonner déjà six fois depuis quinze jours, et sans dire même un simple mot pour le sauver de la mort.

« Mais ce n’est pas tout, ajouta-t-elle en soupirant, il me faut une séparation qui me rende ma liberté, et je la veux. S’il me la refuse à l’amiable, je l’aurai judiciairement. Je sais que c’est mon droit, et j’espère que mon sort servira de leçon à toutes les demoiselles qui peuvent voir cette scène pénible. »

Mlle Knag, sans contredit la plus âgée de toutes ces demoiselles, porta la parole en leur nom pour dire du ton le plus solennel que ce serait une leçon pour elle ; et toutes les jeunes personnes firent chorus, à l’exception d’une ou deux qui paraissaient douter dans leur conscience que de si belles moustaches pussent avoir tort.

« Pourquoi dire tout cela devant tant de monde, lui murmura Ralph à voix basse ? vous savez bien que vous ne parlez pas sérieusement.