Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/177

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— Je parle très sérieusement, répliqua tout haut Mme Mantalini en faisant un mouvement de retraite vers Mlle Knag.

— À la bonne heure ! mais réfléchissez, insista Ralph, qui avait un grand intérêt dans l’affaire ; il ne faut pas aller si vite en besogne. Vous savez qu’une femme mariée n’a pas de biens en propre.

— Pas la moindre petite somme du diable, dit M. Mantalini se relevant et s’appuyant sur son coude.

— Je sais tout cela, repartit Mme Mantalini en remuant la tête ; aussi, moi, je n’ai plus rien. Le commerce, le magasin, la maison, tout enfin appartient à Mlle Knag.

— Pour cela, madame Mantalini, c’est la vérité pure, dit Mlle Knag, qui avait fait à l’amiable des arrangements secrets avec sa maîtresse, c’est la vérité toute pure, madame Mantalini ; certainement ; il n’y a rien de plus vrai. Et je puis dire que je ne me suis jamais tant applaudie de ma vie d’avoir eu la force de résister à toutes les offres matrimoniales qu’on m’a faites, si avantageuses qu’elles pussent être, en comparant le bonheur de ma position actuelle avec votre disgrâce si malheureuse et si peu méritée, madame Mantalini.

— Diable de vieille fille ! cria M. Mantalini en se tournant du côté de sa femme. Comment ! mon amour ne soufflettera pas et ne pincera pas jusqu’au sang l’envieuse douairière qui se permet des réflexions sur son délicieux esclave ? »

Mais les flatteries de M. Mantalini avaient fait leur temps. « Mlle Knag, monsieur, lui dit sa femme, est mon intime amie. » Et M. Mantalini eut beau lui décocher des œillades meurtrières, et se retourner le blanc des yeux jusqu’à risquer de ne plus pouvoir jamais les remettre en place, Mme Mantalini ne fit pas mine de s’attendrir le moins du monde.

Il faut rendre justice à Mlle Knag, c’était à elle que revenait tout l’honneur de ce revirement subit. Reconnaissant par la balance des comptes journaliers qu’il n’y avait pas moyen d’espérer que son industrie pût prospérer ou même continuer d’exister, tant que M. Mantalini aurait la haute main dans la dépense ; et fortement intéressée maintenant au succès de la maison, elle s’était soigneusement appliquée à vérifier et constater quelques particularités de la conduite privée de ce gentleman. Une fois sûre de son fait, elle avait su les présenter avec tant d’évidence et d’adresse à Mme Mantalini, qu’elle lui avait, par ses révélations, dessillé les yeux, mieux que n’avaient pu le faire, depuis plusieurs années, les raisonnements philosophiques les plus rigoureux. La découverte providentielle qu’elle avait faite d’une