Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/178

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correspondance trop tendre, où Mme Mantalini était dépeinte par son mari comme une vieille femme bien ordinaire, avait porté le dernier coup à ses doutes et décidé la question.

Cependant, malgré sa résolution, Mme Mantalini pleurait à fendre l’âme. Appuyée sur le bras de Mlle Knag, elle fit signe qu’elle voulait sortir, et toutes ces demoiselles, lui formant un cortège de pleureuses, accompagnèrent sa retraite.

« Nickleby, dit M. Mantalini tout en pleurs, vous venez d’être témoin de cette infernale cruauté de la part de cette damnée d’enchanteresse contre son esclave le plus soumis ; eh bien ! Dieu me damne si je ne pardonne pas à cette femme !

— Pardonner ! répéta Mme Mantalini courroucée.

— Je lui pardonne, Nickleby. Vous allez me blâmer ; le monde va me blâmer ; les femmes vont me blâmer ; tout le monde va me rire au nez, me turlupiner, me railler, se moquer de moi en diable ; on va dire : « Elle ne connaissait pas son bonheur ; aussi pourquoi était-il si faible ? pourquoi était-il si tendre ? c’était au fond un bon diable, malheureusement il l’aimait trop. Il n’avait pas le courage de la voir de mauvaise humeur et de supporter les vilains mots dont elle l’accablait. Quel diable de malheur ! il n’y en eut jamais de plus diabolique. » Mais c’est égal, je lui pardonne. »

À la fin de cette harangue sentimentale, M. Mantalini tomba à plat, étendu sans connaissance et sans mouvement, jusqu’à ce que les femmes eurent quitté la chambre ; après quoi il se remit tout doucement sur son séant, et regarda fixement Nickleby d’un air penaud, tenant encore sa fiole d’une main et sa cuiller à thé de l’autre.

« Vous pouvez maintenant laisser de côté toutes ces giries, et vous ne risquez rien de recommencer à vivre d’industrie.

— Diable ! Nickleby, comme vous dites cela ! vous ne parlez pas sérieusement ?

— Je ne plaisante pas souvent, dit Ralph ; bonne nuit !

— Non ; mais que venez-vous de dire là, Nickleby ? dit Mantalini.

— Peut-être que je me trompe, répliqua Ralph, je vous le souhaite ; en tout cas, vous savez mieux que moi ce qui en est ; bonne nuit ! »

En vain, Mantalini le pria de rester pour lui donner conseil ; Ralph l’abandonna à ses tristes réflexions et s’en alla tranquillement.

« Ho, ho ! se dit-il en lui-même, le vent a tourné plus vite que je ne croyais ; moitié coquin et moitié fou, il s’est laissé ar-