Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/201

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— Au moins, est-il bon pour elle ? dit Nicolas ; sait-il reconnaître son affection ?

— La bonté, la vraie bonté, celle qui rend dévouement pour dévouement, n’est pas dans sa nature, répondit M. Cheeryble du reste, il a pour elle toute la bonté que peut avoir un homme comme lui ; la mère avait beau être la plus aimante, la plus confiante des femmes, cela ne l’a pas empêchée d’être, depuis son mariage jusqu’à sa mort, victime de sa légèreté lâche et cruelle, et cela ne l’a pas empêchée non plus de l’aimer toujours. À son lit de mort, c’est elle encore qui l’a recommandé aux soins de sa fille, et sa fille ne l’a jamais oublié, elle ne l’oubliera jamais.

— N’avez-vous donc aucune influence sur lui ? demanda Nicolas.

— Moi ! mon cher monsieur, je serais le dernier à en avoir ; il a contre moi une haine et une jalousie si aveugles que, s’il venait à apprendre que sa fille m’a ouvert son cœur, il ne cesserait de lui rendre la vie malheureuse par ses reproches. Et pourtant,… voyez quel est ce caractère vain et égoïste !… Quand il viendrait à savoir que c’est de moi qu’elle tient jusqu’au dernier sou qu’elle lui rapporte, il ne renoncerait pas pour cela à satisfaire, aux dépens de la bourse épuisée de sa fille, la moindre de ses fantaisies.

— Quel gredin ! il n’a donc pas d’âme ? dit Nicolas indigné.

— N’employons pas les gros mots, dit frère Charles avec douceur ; il faut nous plier nous-même aux circonstances où cette jeune demoiselle se trouve placée. Les secours que j’ai pu lui faire accepter, j’ai été obligé, sur ses propres instances, de les diviser par petites portions, de peur que, s’il venait à s’apercevoir qu’elle pût se procurer trop aisément de l’argent, il ne le prodiguât encore en folles dépenses avec plus d’ardeur. Elle a donc fait bien des allées et venues secrètement, le soir, pour venir recevoir notre offrande ; mais cela ne peut plus durer comme cela, monsieur Nickleby, j’en suis honteux moi-même. »

Puis, petit à petit, il expliqua comment son frère et lui avaient médité dans leur cerveau bien des plans et de projets pour venir au secours de cette jeune fille de la manière la plus prudente et la plus délicate, sans que son père soupçonnât la source de leur petit bien-être ; comment ils avaient fini par trouver qu’ils ne pouvaient rien faire de mieux que de faire semblant de lui acheter à un prix assez élevé les petits dessins et les jolis travaux d’aiguille qu’elle pouvait faire, en ayant soin de lui faire toujours des commandes. C’était pour les aider dans ce