Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/225

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— Non, répondit Bray poussé par un sentiment de rancune invincible.

— Je le savais bien, dit Ralph tranquillement. S’il faut que ce soit la mort de quelqu’un qui lui profite, ajouta-t-il en baissant la voix, il vaut mieux que ce soit celle de son mari. Ne l’exposez pas à soupirer après la vôtre comme le signal assuré de sa délivrance et de son bonheur. Examinons les objections. Voyons cela de près. Voici : Son prétendu est un vieillard ; mais ne voit-on pas tous les jours des hommes d’une grande famille et d’une grande fortune qui, par conséquent, n’ont pas votre excuse, puisqu’ils ont sous la mains les jouissances de la vie et le superflu de la richesse, marier leurs filles à des vieillards, ou même, ce qui est bien pis, à des jeunes gens sans cœur et sans cervelle, parce qu’ils ont des titres qui chatouillent doucement leur orgueil, des biens qui garantissent leurs intérêts de famille, une influence qui leur assure un siège au parlement ? C’est à vous de décider pour elle, monsieur ; elle ne peut pas avoir un meilleur juge de ce qu’il lui faut, et elle vous en aura de la reconnaissance toute sa vie.

— Chut… chut ! cria M. Bray, tressaillant tout à coup et mettant sa main tremblante sur la bouche de Ralph pour le faire taire, la voici, je l’entends à la porte. »

Dans ce mouvement précipité de M. Bray inquiet et confus, il y avait comme un éclair de conscience, une étincelle d’honnêteté qui leur montrait sous leur vrai jour tous les sophismes de ce cruel dessein, et qui en éclairait toute la bassesse, toute la honte, toute la barbarie. Le père retomba dans son fauteuil, pâle et tremblant ; Arthur Gride, dans son embarras, chercha partout son chapeau, sans oser lever ses yeux attachés au parquet. Il n’y eut pas jusqu’à Ralph qui ne fît le chien couchant et ne se sentît l’oreille basse en présence d’une jeune fille innocente.

Mais si l’effet fut subit, il ne fut pas moins rapide. Ralph fut le premier à se remettre, et, voyant dans les yeux de Madeleine une expression d’inquiétude, il pria la pauvre fille de se calmer, en l’assurant qu’elle n’avait rien à craindre.

« Ce n’est rien qu’une crise soudaine, dit Ralph jetant un coup d’œil sur M. Bray ; mais le voilà tout à fait remis. »

Le cœur le plus dur, le plus émoussé par l’expérience du monde, n’aurait pu rester insensible à la vue de cette jeune et belle créature dont ils venaient, une minute auparavant, de concerter entre eux la perte ; jeter ses bras autour du cou de son père ; lui prodiguer des mots de tendresse et d’amour, les pa-