Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/226

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roles les plus douces que puisse entendre l’oreille d’un père, que puissent former les lèvres d’un enfant ; mais Ralph la regardait froidement pendant qu’Arthur Gride, dont les yeux chassieux ne voyaient que les agréments physiques de sa victime, sans pénétrer jusqu’à l’âme qui les animait, laissait percer une espèce d’intérêt fantastique. Mais, grand Dieu ! que cet intérêt était loin de ressembler aux sentiments qu’inspire d’ordinaire la contemplation de la vertu !

« Madeleine, lui dit son père en se dégageant doucement de ses embrassements, ce n’est rien.

— Mais vous avez déjà eu pareille crise hier, et c’est bien terrible de vous voir toujours souffrir ainsi ! Est-ce que vous ne voulez pas que je vous fasse quelque chose ?

— Non, rien maintenant. Voici deux messieurs, Madeleine, dont l’un ne vous est pas inconnu… Elle me disait toujours, ajouta M. Bray en s’adressant à Arthur Gride, que, rien que de vous voir, j’avais une rechute. Elle ne pouvait pas dire autrement, sachant ce qu’elle savait, et rien de plus, de nos relations et de leurs suites ; mais, soyez tranquille, elle pourra bien changer d’idée là-dessus ; il n’est pas rare, vous savez, que les jeunes filles changent d’idée. Vous êtes bien fatiguée, ma petite ?

— Mais non, je vous assure.

— Je vous assure que si, vous en faites trop.

— Je voudrais en faire davantage.

— Je sais cela ; mais vous en faites plus que vos forces, ma chère enfant. Cette vie misérable de travail journalier, de fatigue incessante est trop pénible pour vous ; il est impossible que vous y résistiez, pauvre Madeleine ! »

En lui disant ce petit mot tendre, M. Bray attira sa fille dans ses bras et lui baisa la joue avec vivacité.

Ralph, qui ne le perdait pas de vue, crut devoir les laisser seuls, et s’avança du côté de la porte en faisant signe à Gride de le suivre.

« Vous nous reverrez ? dit Ralph.

— Oui, oui, répondit M. Bray en se hâtant d’écarter sa fille, dans huit jours ; je ne vous demande que huit jours.

— Huit jours soit ! dit Ralph se tournant vers son compagnon ; ainsi, d’aujourd’hui en huit. Je vous salue, et vous, mademoiselle Madeleine, je vous baise les mains.

— Vous ne partirez pas sans me donner une poignée de main, Gride, dit M. Bray tendant la main au vieil Arthur, qui s’inclina humblement. Je vous sais gré de vos intentions, et je suis bien