Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/254

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Comme le garçon ne venait pas à cet appel, le vieux gentleman, après un moment de silence, éleva de nouveau la voix pour demander un sandwich au tonnerre. Comme cet article de consommation ne venait pas davantage, il voulut au moins se faire servir une fricassée de revers de bottes au coulis de poissons rouges, et finit par un éclat de rire bruyant, couronné par un beuglement long, sonore, retentissant.

Mme Nickleby, loin de se rendre à l’opinion exprimée sur la physionomie de tous les assistants, en présence de ces actes de folie, secoua la tête d’une manière significative, en femme résolue à ne rien voir dans tout cela que des marques légères d’originalité un peu excentrique ; et rien n’aurait pu l’empêcher de conserver ce sentiment jusqu’à la fin de ses jours, sans une suite de circonstances nouvelles qui vinrent s’ajouter à cette scène burlesque, et changèrent la thèse du tout au tout.

Il est bon de savoir que miss la Creevy, restée seule avec la bonne pour surveiller ses nerfs, ne voyant rien d’imminent dans son état, et se sentant une vive démangeaison d’aller voir ce qui se passait de l’autre côté, se précipita dans la chambre, au moment où le vieux gentleman soufflait comme un bœuf. Par quel hasard se fit-il, je ne sais, qu’en l’apercevant ce monsieur aussitôt coupa court à cet exercice, se dressa tout à coup sur ses pieds, et se mit à lui envoyer avec sa main des baisers passionnés. Qu’on juge de la terreur de la petite artiste ; elle ne savait où elle en était, et ne trouva rien de mieux que d’aller chercher au plus tôt un refuge derrière Tim Linkinwater.

« Ah ! ah ! cria le vieux gentleman croisant les mains et les serrant ensemble de toutes ses forces ; c’est elle que je revois ! la voici, c’est bien elle ! mon amour, ma vie, ma fiancée, ma beauté non pareille ! La voilà donc enfin revenue… enfin… vivent le gaz et les longues guêtres ! »

Mme Nickleby parut un moment déconcertée, mais ce fut l’affaire d’un instant. Elle fit plusieurs fois à Mlle la Creevy et aux autres spectateurs des signes de tête incompris, elle fronça le sourcil, elle sourit d’un air grave ; tout cela pour leur faire entendre qu’elle savait bien que c’était un malentendu, qu’elle tenait la clef de l’énigme et qu’en moins d’une minute elle allait tout éclaircir.

« La voilà revenue ! disait le vieux gentleman, mettant la main sur son cœur. Cormoran et sapajou ! la voilà revenue ! Qu’elle veuille seulement m’accepter pour esclave, et tout mon or est à ses pieds. Où trouver tant de grâce, de beautés séduisantes ! Est-ce chez l’impératrice de Madagascar ? non ; chez la