Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/320

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plus contradictoires ; aussi, pendant que Nicolas continuait de lui parler, il l’avait suivi pas à pas dans tous ses arguments et ses suppositions, et se trouva à la fin aussi bien préparé que s’il avait réfléchi là-dessus depuis quinze jours.

« Si je vous entends ! cria-t-il en se levant brusquement de son siège, ouvrant les volets de la fenêtre et enlevant le store ; vous allez voir : Au secours ! au secours !

— Que faites-vous ? dit Nicolas en le saisissant par le bras.

— Ce que je fais ? je vais crier au voleur, au meurtre, à l’assassin ; je vais jeter l’alarme dans tout le voisinage ; me colleter avec vous, me barbouiller d’un peu de sang, et prêter serment devant le juge que vous êtes venu pour me voler, si vous ne sortez pas à l’instant même… Voilà ! répliqua Gride, retirant la tête de la fenêtre avec une grimace horrible à voir ; voilà ce que je vais faire.

— Misérable ! cria Nicolas.

— Ah ! vous viendrez ici me menacer, dit Gride que sa jalousie contre Nicolas et l’assurance de son triomphe avaient changé en un véritable démon ; vous, l’amant supplanté et désappointé ! hi ! hi ! hi ! … Mais c’est égal, vous ne l’aurez pas, pas plus qu’elle ne vous aura. Elle est ma femme, mon amour de petite femme. Ne croyez-vous pas qu’elle va vous regretter ? ne croyez-vous pas qu’elle va pleurer ? Au fait, j’aimerais assez à la voir pleurer… Je m’en moque pas mal. Elle n’en doit être que plus jolie à voir pleurer !

— Monstre abominable ! dit Nicolas étouffant de colère.

— Encore une minute, cria Arthur Gride, et je vais mettre sur pied toute la rue en poussant de tels cris, qu’ils seraient capables de m’éveiller moi-même dans les bras de la charmante Madeleine.

— Lâche gredin ! dit Nicolas ; si vous étiez seulement un peu plus jeune…

— Pour cela, c’est vrai, dit Arthur Gride en ricanant ; si j’étais seulement un peu plus jeune, ce serait moins humiliant pour vous, mais dire que je suis laid et vieux, et que c’est à moi que la petite Madeleine vous sacrifie !

— Écoutez, dit Nicolas, et rendez grâce à Dieu de ce que j’ai assez d’empire sur moi-même pour ne pas vous jeter par la fenêtre, ce que vous ne pourriez pas éviter si je vous empoignais une bonne fois. Vous vous trompez ; je ne suis point l’amant de cette demoiselle. Jamais il n’y a eu entre nous ni engagements ni conventions, ni même un mot d’amour ; elle ne sait seulement pas mon nom.

— Eh bien, je lui demanderai tout cela… je le lui demanderai