Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/321

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en lui appliquant de tendres baisers, dit Arthur Gride ; et alors elle me le dira ; elle me les rendra à son tour, et nous rirons à gorge déployée, et nous nous embrasserons, et nous ferons un tas de folie en pensant au pauvre jeune homme qui aurait bien voulu l’avoir, mais qui n’a pas pu, parce que c’est à moi qu’elle était promise. »

En entendant ces provocations insultantes, la figure de Nicolas prit une expression qui fit craindre à Arthur Gride de lui voir mettre à exécution sa menace de le flanquer par la fenêtre ; car il avança la tête dans la rue en se cramponnant après la croisée avec ses deux mains, et jeta les hauts cris ; mais Nicolas, ne jugeant pas nécessaire de se trouver mêlé à la bagarre, lui lança en partant un défi méprisant, et sortit de la chambre, puis après de la maison, d’un pas ferme et assuré. Arthur Gride le vit traverser la rue, et aussitôt, retirant la tête, barricada la fenêtre en dedans, et alla s’asseoir pour respirer un peu.

« Si jamais elle s’avise de devenir maussade ou grognon, voilà de quoi la remettre en place, dit-il quand il se sentit mieux. Elle sera bien étonnée de voir que je connais ce godelureau, et si je m’y prends bien, j’aurai là un bon moyen de lui rabattre le caquet et de la faire marcher droit. Je ne suis pas fâché après tout, qu’il ne soit venu personne au secours ; j’ai bien fait de ne pas crier trop haut. Comprend-on cette audace, d’entrer dans ma maison, de pénétrer jusqu’à moi !… Mais bah ! je vais joliment triompher demain pendant qu’il se rongera les ongles ; à moins qu’il n’aille se jeter à l’eau ou se couper la gorge : pourquoi pas ? Ma foi, il ne manquerait plus que cela ; mon bonheur serait complet. »

Quand il fut rentré dans son assiette en réfléchissant ainsi à son prochain triomphe, Arthur Gride mit de côté son registre, ferma le coffre avec une grande précaution, descendit à la cuisine pour avertir Peg Sliderskew d’aller se coucher, et la gronda d’avoir laissé entrer ainsi un étranger.

Mais il trouva l’innocente Marguerite incapable de comprendre le tort qu’elle pouvait avoir eu d’introduire un visiteur, et lui fit prendre la chandelle pour l’éclairer, pendant qu’il allait faire son tour accoutumé dans la maison, vérifier que tout était bien fermé, et tourner de ses propres mains la clef de la porte d’entrée.

Tout en mettant les verrous, il disait entre ses dents : « Le verrou est mis en haut, le verrou est mis en bas… la chaîne… la barre… le double tour, et j’emporte la clef pour la mettre sous mon oreiller. À présent, s’il vient quelque amoureux éconduit, il faudra donc qu’il passe par le trou de la serrure. Main-