Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/351

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effet comptée hier pour les deux hypothèques, et qui devait courir à partir de demain à de gros intérêts. Si cette maison avait fait banqueroute, et que ce fût lui qui m’en eût le premier porté la nouvelle !… La voiture est-elle là ?

— Oui, oui, dit Gride tressaillant au ton sauvage dont était faite cette question. Elle y est. Dieu ! Dieu ! Quel homme inflammable vous faites !

— Venez ici, dit Ralph en lui faisant signe d’approcher ; il ne faut pas que nous ayons l’air ému. Nous allons sortir en nous donnant le bras.

— Aïe ! Vous me pincez jusqu’au sang, » cria Gride.

Ralph le lâcha d’un air impatienté, et, descendant d’un pas ferme et grave, comme à l’ordinaire, monta en voiture, suivi d’Arthur Gride, qui, après avoir regardé Ralph indécis, quand le cocher demanda où il devait les conduire, en le voyant silencieux et absorbé, se fit ramener chez lui.

Pendant la route, Ralph resta dans son coin, les bras croisés, sans prononcer une parole. Le menton appuyé sur sa poitrine, d’un air consterné, et les yeux voilés, par ses sourcils renfrognés, il ne donna pas signe de vie et parut plongé dans le sommeil jusqu’au moment où la voiture s’arrêta. Alors il releva la tête, et, regardant par la portière, demanda où ils étaient.

« Chez moi, répondit le triste Gride, qui n’avait pas compté retrouver sa maison si solitaire. Oui, vraiment, chez moi.

— C’est vrai, dit Ralph ; je n’avais pas fait attention au chemin que nous avons pris. Je voudrais bien avoir un verre d’eau fraîche. Je trouverai cela chez vous, je suppose ?

— Vous y trouverez un verre de… tout ce que vous voudrez, répondit Gride en gémissant. Cocher, ce n’est pas la peine de frapper, sonnez seulement. »

Le cocher sonne, sonne, et resonne. Puis il prend le marteau et frappe à fatiguer les échos des rues voisines ; puis il écoute à la porte. Personne. La maison restait aussi silencieuse qu’une tombe.

« Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Ralph avec impatience.

— Marguerite est si sourde ! répondit Gride visiblement inquiet et alarmé. Voyons ! cocher, sonnez encore, elle verra peut-être remuer la sonnette. »

Et le cocher de carillonner tour à tour avec la sonnette et le marteau. Les voisins mettaient le nez à la fenêtre, et se demandaient les uns aux autres, à travers la rue, si la gouvernante du vieux Gride ne serait pas morte d’une attaque d’apoplexie.