Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/352

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D’autres se groupaient autour du fiacre, et donnaient carrière à leurs suppositions téméraires. « Elle se sera endormie, disaient les uns. — Elle sera morte de combustion spontanée, disaient les autres. — Mais non, disait une voix, c’est qu’elle est ivre. — Vous vous trompez, reprit un gros farceur, elle aura vu quelque chose de bon à manger, et, comme elle n’y est pas accoutumée, elle en aura eu une telle peur, qu’elle sera tombée en attaque de nerfs. » Cette dernière conjecture fut particulièrement du goût de l’assistance, qui ne put s’empêcher d’en pousser de grands éclats de rire, et qu’on eut beaucoup de peine à empêcher de passer par-dessus la grille, pour descendre à la cuisine et s’assurer du fait en enfonçant les portes. Ce n’est pas tout. Comme on savait, à la ronde, qu’Arthur était sorti le matin pour prendre femme, ce n’étaient que questions et quolibets indiscrets sur sa belle maîtresse. La majorité des gens voulaient absolument qu’elle fût dans le fiacre, déguisée en Ralph Nickleby, et la populace s’indignait, d’une façon plaisante, de cette entrée nuptiale d’une jeune mariée en bottes et en pantalon ; on n’entendait de tous côtés que des murmures et des huées. Enfin, les deux usuriers trouvèrent un asile dans une maison voisine ; et, s’étant procuré une échelle, grimpèrent par-dessus le mur de l’arrière-cour, qui n’était pas très haut, et descendirent de l’autre côté sains et saufs.

« Ma foi ! dit Arthur en se retournant vers Ralph quand ils furent seuls, je ne sais pas si je dois entrer ; j’ai peur. Si nous allions la trouver assassinée… étendue sur les carreaux avec un coup de fourgon qui lui eût fait sauter la cervelle ! Dites donc ?

— Eh bien ! après ? dit Ralph ; je donnerais bien quelque chose pour que cela se vît plus souvent, et que ce fût plus facile à faire. Restez là, si vous voulez, à frissonner et à vous écarquiller les yeux… Moi, j’entre. »

Il se mit d’abord à tirer de l’eau à la pompe de la cour, il en but une bonne gorgée et s’aspergea la tête et la figure, reprit son assurance accoutumée, et entra le premier dans la maison : Gride s’attacha à ses pas.

C’était bien l’obscurité ordinaire de ses appartements ; rien de changé : chaque pièce était toujours aussi triste, aussi silencieuse ; chaque meuble aussi délabré, à sa place invariable. La vieille et lugubre pendule vibrait toujours lourdement son cœur de fer dans sa boîte poudreuse. Les armoires boiteuses étaient, comme d’habitude, reculées loin des yeux dans leurs coins mélancoliques. Les même échos funèbres répétaient le