Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/354

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pendant qu’il tenait dans ses serres le bras décharné de Gride ; quoi ?

— Elle ne sait pourtant pas ce que c’est ; elle ne sait pas lire, continuait à crier Gride sans faire attention aux questions de l’autre. Il n’y a pas d’autre moyen pour elle d’en tirer de l’argent que de le garder caché. Elle se le fera lire par quelqu’un qui lui dira ce qu’elle doit en faire. Elle et son complice, ils en tireront de l’argent, et impunément encore. Ils s’en feront même un mérite : ils diront qu’ils l’ont trouvé… qu’ils savaient bien que je l’avais… et ils porteront témoignage contre moi… La seule personne qui puisse en souffrir, c’est moi… moi… moi…

— Un peu de calme, dit Ralph en le serrant encore plus fort, et en lui jetant de côté un coup d’œil fixe et ardent, qui indiquait assez qu’il avait trouvé quelque expédient utile à lui communiquer. Entendez un peu raison. Elle ne peut pas être allée bien loin. Je vais mettre la police à ses trousses. Vous n’avez qu’à déclarer ce qu’elle vous a dérobé, et ils sauront bien la rattraper, comptez-y. À la garde ! au secours !

— Non, non, non, cria le vieux poltron en fermant la bouche à Ralph ; je ne peux pas, je n’ose pas.

— Au secours ! au secours ! criait toujours Ralph.

— Non, non, non, répétait l’autre en trépignant comme un fou furieux. Quand je vous dis que non ; je n’ose pas, je n’ose pas.

— Vous n’osez pas déclarer publiquement qu’on vous a volé ?

— Non, répliqua Gride en se tordant les mains. Chut ! chut ! pas un mot de cela. Il ne faut pas qu’on en sache un mot. Je suis perdu. De quelque côté que je me tourne, je suis perdu, je suis trahi. On me livrera à la justice. On me fera mourir dans les cachots de Newgate. »

Ces exclamations frénétiques où se mêlaient à la fois, d’une manière risible et bizarre, la crainte, la douleur et la rage chez ce misérable, frappé d’une terreur panique, descendirent bientôt du ton des cris les plus aigus aux murmures plaintifs d’un lâche désespoir, entrecoupés de temps en temps d’un hurlement nouveau, chaque fois que ses recherches dans le coffre amenaient la découverte de quelque perte nouvelle. Ralph le laissa là, en s’excusant d’être obligé de le quitter sitôt, et, au grand désappointement des flâneurs dans la rue, auxquels il déclara que ce n’était rien, il monta en voiture et se fit conduire chez lui.

Une lettre l’attendait sur sa table. Il l’y laissa quelque temps, comme s’il n’avait pas le courage de l’ouvrir : il finit pourtant par là et devint pâle comme un mort.