Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/403

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qu’il était en proie à quelque triste pressentiment, quoiqu’il soit plus naturel de penser que la rude journée qu’il avait traversée suffisait pour expliquer son émotion.

On garda, pendant toute la course, un profond silence. Une fois arrivés, Ralph entra dans la maison, sur les pas de son conducteur, et fut introduit dans la chambre où se tenaient les deux frères. Il fut si frappé, pour ne pas dire si effrayé de la compassion muette qu’il lisait dans leurs traits et dans ceux du vieux caissier, qu’il pouvait à peine ouvrir la bouche.

Cependant il prit un siège et balbutia quelques mots : « Qu’est-ce… qu’est-ce que vous avez à me dire… de plus que ce que vous m’avez déjà dit ? »

La chambre où ils étaient réunis était une grande pièce, dans l’ancien style, mal éclairée, et terminée par une fenêtre en ogive, autour de laquelle étaient suspendus de grands rideaux en tapisserie. En jetant les yeux de ce côté, il vit dans l’embrasure une ombre obscure qui lui parut un homme. Il fut confirmé dans cette opinion en voyant l’objet se mouvoir, comme pour éviter son regard pénétrant.

« Qu’est-ce que c’est que cet homme que je vois là-bas ? dit-il.

— C’est un homme qui nous a apporté, il y a deux heures, la nouvelle qui nous a engagés à vous envoyer chercher, répondit le frère Charles ; ne vous en occupez pas, monsieur, ne vous en occupez pas pour l’instant.

— Encore des énigmes, dit Ralph d’une voix affaiblie. Eh bien ! monsieur ? »

Il fut obligé de détourner ses regards de la fenêtre pour les porter vers les frères, mais, sans leur laisser le temps de prendre la parole, il se retourna encore malgré lui. Il était évident que la présence de ce témoin invisible lui causait de l’inquiétude et de la gêne, car il répéta ce mouvement plusieurs fois et finit, dans un état nerveux qui ne lui laissait pas la liberté de changer de position, par s’asseoir de manière à l’avoir en face de lui, marmottant pour excuse que la lumière lui faisait mal.

Les frères commencèrent par avoir ensemble un petit bout d’entretien à part. On voyait qu’ils étaient très agités. Ralph leur jetait de temps en temps un coup d’œil étonné, et finalement leur dit, en faisant un effort visible pour reprendre son assurance : « Ah ça, qu’est-ce qu’il y a ? Si on me dérange de chez moi à cette heure-ci, il faut au moins que ce soit pour quelque chose. Qu’est-ce que vous avez de nouveau à me dire ? » Puis,