Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/404

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après un moment de silence, il ajouta : « Est-ce que ma nièce serait morte ? »

Cette supposition erronée n’en donnait pas moins l’occasion aux deux frères de commencer l’ouverture de la communication funèbre qu’ils avaient à lui faire. Le frère Charles se retourna pour lui dire qu’il s’agissait bien en effet d’un décès, mais que ce n’était pas celui de sa nièce, qui était bien portante.

« Vous ne m’auriez pas fait venir par hasard, dit Ralph avec des yeux étincelants de joie, pour m’annoncer la mort de son frère ? Oh ! non, je serais trop content. Vous me le diriez, que je n’oserais pas le croire. Ce serait une nouvelle trop heureuse pour être vraie.

— Fi ! c’est horrible, cœur dénaturé et endurci, cria l’autre frère avec horreur. Préparez-vous à une nouvelle qui va vous faire trembler et frémir, pour peu qu’il vous reste dans le cœur quelque sentiment d’humanité. Si je vous disais qu’un pauvre malheureux jeune homme, un enfant plutôt, qui n’a jamais su ce que c’est que les tendres caresses, ou les heures agréables qui font de notre enfance un temps qu’on se rappelle toute la vie comme un doux songe ; une créature sensible, innocente, aimante, qui ne vous a jamais fait ni tort ni peine, mais dont vous avez fait la victime de la haine méchante que vous aviez conçue pour votre neveu, et sur lequel vous avez fait retomber le poids de vos mauvaises passions contre son ami ; si je vous disais que, succombant enfin à vos persécutions, monsieur, à la misère et à la douleur d’une vie, courte en durée, mais longue en souffrance, cette pauvre créature est allée déposer contre vous devant le juge souverain à qui vous aurez à en rendre compte ?…

— Si vous me disiez, dit Ralph, si vous me disiez qu’en effet il est mort, je vous pardonnerais tout le reste. Dites-moi qu’il est mort, et je me reconnais votre obligé, votre débiteur pour toute ma vie. Ah ! il est mort ! je le lis dans vos yeux. Qui est-ce qui triomphe enfin de nous deux ? Est-ce là votre nouvelle effrayante ? votre terrible communication ? Vous voyez comme j’y suis sensible. Vous avez bien fait de m’envoyer chercher. J’aurais volontiers fait quarante lieues à pied, par la boue, la crotte, les ténèbres, pour apprendre une pareille nouvelle, en ce moment. »

Même dans l’emportement de sa joie féroce et sauvage, Ralph put voir encore dans les traits des deux frères le même sentiment de compassion indéfinissable qu’auparavant, malgré le dégoût et l’horreur qu’exprimait leur physionomie.