Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/405

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« Et c’est sans doute lui, dit Ralph montrant du doigt l’embrasure de la fenêtre, qui vous a apporté cette nouvelle. C’est sans doute lui qui est là assis dans l’ombre, dans l’espérance de jouir de mon abattement et de ma consternation. Ha ! ha ! ha ! Je puis bien l’assurer que je serai longtemps pour lui une rude épine dans le flanc. Et vous, je vous le répète, vous ne le connaissez pas ; et vous regretterez le jour où vous avez pris en pitié ce vagabond.

— Vous me prenez pour votre neveu, dit une voix sourde. Il vaudrait mieux pour vous et pour moi que ce fût lui. »

L’individu qu’il avait aperçu dans l’obscurité se leva, et vint vers lui à pas lents. Ralph tressaillit, en voyant qu’il se trouvait en face non pas de Nicolas, comme il l’avait supposé, mais de Brooker.

Ce n’est pas qu’il crût avoir de motif de le craindre : il n’avait jamais eu peur de lui. Cependant la pâleur que Timothée avait déjà observée sur sa face le soir même revint aussi effrayante. On le vit trembler de tous ses membres, et sa voix était profondément altérée, lorsque fixant les yeux sur le nouveau venu :

« Qu’est-ce que ce coquin fait ici ? Ne savez-vous pas que c’est un galérien, un repris de justice, un voleur ?

— Écoutez ce qu’il a à vous dire, monsieur Nickleby, écoutez-le, quel qu’il soit, » crièrent ensemble les frères avec tant de chaleur que Ralph se retourna vers eux avec surprise, pendant qu’ils lui montraient Brooker ; il se mit donc à le considérer machinalement.

« Cet enfant, dit l’homme, ce jeune garçon dont ces messieurs vous parlaient tout à l’heure…

— Ce jeune garçon…, répéta Ralph jetant sur lui des yeux égarés.

— Que j’ai vu, étendu mort et glacé sur son lit, et qui est maintenant dans la tombe…

— Qui est maintenant dans la tombe, » répéta Ralph par écho, du ton d’un homme qui parle dans ses rêves.

L’individu leva les yeux, et croisant les mains d’un air solennel :

« C’était votre fils unique, j’en prends le ciel à témoin. »

Ralph restait assis, dans un silence lugubre, pressant ses deux mains sur ses tempes. Et, lorsqu’il les retira une minute après, jamais on n’a vu personne défiguré par la blessure la plus hideuse, comme le visage de spectre qu’il découvrit aux yeux des frères. Il regarda Brooker, qui, pendant ce temps-là, s’était