Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/54

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— Toute sa tendresse, reprit Nicolas ; et de vous dire qu’il n’avait pas eu le temps de vous écrire, mais qu’il était marié avec miss Petowker. »

M. Kenwigs sauta de sa chaise avec une figure pétrifiée, saisit la cadette par sa queue et se cacha la face dans son mouchoir. Morleena tomba toute roide sur la chaise de sa petite sœur, absolument comme elle avait vu faire à sa mère quand elle se trouvait mal ; les deux autres petites Kenwigs poussèrent des cris d’effroi.

« Mes enfants, mes petits-enfants, frustrés, dépouillés, floués ! s’écria M. Kenwigs, avec des gestes si violents, qu’en tirant, sans le savoir, la queue blonde de sa cadette, il l’enleva sur la pointe du pied, et la retint pendant quelques secondes dans cette attitude. Infâme brute ! traître !

— Entendez-vous le vilain homme, cria la garde d’un ton de colère, qu’est-ce qu’il veut donc avec tout ce beau tapage ?

— Taisez-vous, femme, dit M. Kenwigs en courroux.

— Je ne veux pas me taire, moi, répliqua la garde ; c’est à vous à vous taire, malheureux ! N’avez-vous pas plus d’égards que cela pour votre nouveau-né ?

— Non, non, répond M. Kenwigs.

— Vous n’en êtes que plus coupable, reprit la garde. Fi ! monstre dénaturé que vous êtes.

— Non, qu’il meure ! cria M. Kenwigs emporté par la colère, qu’il meure ! Il n’y a pas d’espérance à attendre, il n’y a pas de succession à faire ; nous n’avons pas besoin de nouveau-nés ici. Je m’en moque bien ! qu’on les emporte, qu’on les porte à l’hôpital des enfants trouvés ! »

Après cette terrible explosion, M. Kenwigs se rassit sur sa chaise, bravant la garde, qui se dépêcha de courir dans la chambre voisine pour ramener sur ses pas un flot de respectables dames, leur déclarant que M. Kenwigs venait sans doute d’être pris d’une attaque de folie furieuse, vu qu’il blasphémait contre ses enfants.

Les apparences n’étaient certainement que trop favorables à la supposition de la garde. La véhémence et l’énergie que M. Kenwigs venait de mettre dans ses paroles, le soin qu’il avait pris pourtant de les comprimer de toutes ses forces pour empêcher ses lamentations de parvenir jusqu’aux oreilles de Mme Kenwigs, tout cela lui avait fait monter le sang à la tête et rendu la face toute bleue, sans compter que l’émotion des couches de sa femme et les petits coups répétés d’une grande variété de liqueurs cordiales un peu fortes, qu’il avait prises, contre son habitude,