Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/55

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pour célébrer un si beau jour, avaient gonflé et dilaté ses traits d’une façon tout à fait extraordinaire. Cependant Nicolas et le docteur, d’abord témoins impassibles de cette scène, où ils ne savaient pas bien si M. Kenwigs ne jouait pas la comédie, étant intervenus pour expliquer la cause trop légitime de son emportement, l’indignation des respectables dames fit place à la pitié, et elles le supplièrent avec beaucoup de sensibilité d’aller tranquillement se coucher.

« Après toutes les attentions, dit M. Kenwigs promenant autour de lui un regard douloureux, toutes les attentions que j’ai eues pour cet homme-là, les huîtres que je lui ai données à manger, les pintes d’ale que je lui ai données à boire, ici-même !

— Oui, c’est navrant ! c’est indigne ! nous le savons bien, dit une des dames mariées ; mais vous devez songer à votre chère et digne femme.

— Oui, oui, et à tout ce qu’elle a souffert ! crièrent ensemble une foule de voix. Allons ! montrez-vous un brave homme.

— Et les cadeaux qu’on lui a faits ! recommença M. Kenwigs ne pouvant s’arracher au souvenir de son malheur, et les pipes ? les tabatières ?… une paire de galoches en caoutchouc, qui m’avait coûté six francs six sous.

— Ah ! il ne faut pas penser à cela ; c’est trop douloureux, cria le chœur des dames ; mais, allez, n’ayez pas peur, il le payera ! »

M. Kenwigs regarda les dames d’un air sérieux, pour voir si elles parlaient au propre ou au figuré. Il aurait mieux aimé qu’on le payât sans figure, puis il finit par ne rien dire, et reposant sa tête sur sa main, s’affaissa dans une espèce d’assoupissement.

Alors les matrones remirent sur le tapis la nécessité de conduire à son lit le bon gentleman. Demain, il serait tout à fait mieux ; elles savaient bien, par expérience, comment cela se passe chez les hommes, quand ils voient leur femme dans l’état de Mme Kenwigs. M. Kenwigs n’avait que faire d’en rougir ; cela lui faisait au contraire beaucoup d’honneur. Ces dames voyaient son trouble avec plaisir ; elles en étaient bien aises, c’était la marque d’un bon cœur ; l’une d’elles fit même observer à ce propos, que son mari, en pareille occasion, perdait presque toujours la tête, tant il était tourmenté, et que la fois qu’elle accoucha de son petit Jeannot, le père fut près d’une semaine avant de revenir à lui. Pendant tout ce temps-là il ne faisait que crier : « Est-ce un garçon ? est-il bien vrai que c’est un garçon ? » si bien que cela fendait le cœur de tous ceux qui l’entendaient.

À la fin, Morleena, qui avait tout à fait oublié qu’elle s’était trouvée mal, en voyant que personne n’y faisait attention, vint