Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/104

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Non, Tom ne le niait pas. Il ne daignait pas le nier. Il vit bien que M. Pecksniff, ayant entendu dans l’église sa propre condamnation, se moquait bien de tomber plus bas encore dans le mépris de son élève. Il vit que M. Pecksniff avait inventé cette fable comme le meilleur moyen de se débarrasser brusquement de lui, mais qu’il fallait en finir. Il vit que M. Pecksniff comptait bien qu’il ne nierait pas : car, s’il eût nié et donné des explications, il n’eût fait qu’enflammer plus que jamais le courroux du vieillard contre Martin et contre Mary, tandis que Pecksniff lui-même pouvait s’être tout simplement trompé en saisissant des « lambeaux » de conversation. Nier cela ! oh non pas.

« Trouvez-vous le compte exact, monsieur Pinch ? dit Pecksniff.

– Tout à fait exact, monsieur, répondit Tom.

– On vous attend dans la cuisine pour porter votre bagage où il vous plaira. Nous nous séparons immédiatement, monsieur Pinch, et dès ce moment nous devenons étrangers l’un à l’autre. »

Ce que c’est pourtant ! Croirait-on que la compassion, le chagrin, l’ancien attachement, la reconnaissance trompée, l’habitude, rien de tout cela peut-être, et cependant tout cela à la fois, vint troubler au départ le généreux cœur de Tom ? Il savait bien qu’il n’y avait rien qui ressemblât à une âme dans la carcasse de Pecksniff ; et cependant, quand il aurait pu parler à cœur ouvert, sans compromettre celle qu’il aimait, il n’aurait pas voulu démasquer et déshonorer ce drôle, non pas même en ce moment.

« Je ne saurais dire, s’écria M. Pecksniff versant des larmes, quel coup je reçois. Je ne saurais dire combien cela m’afflige, combien mon caractère en souffre, combien mes sentiments en sont froissés. Je ne m’en plains pas. Je puis souffrir autant que tout autre homme ; mais ce que vous et moi nous avons à espérer, monsieur Pinch (autrement, une lourde responsabilité pèserait sur vous), c’est que cette déception n’altèrera point mon estime pour l’humanité, qu’elle ne diminuera en rien la fraîcheur de ma confiance ni l’essor de mes ailes, si je puis parler ainsi. J’espère qu’il n’en sera rien ; je suis sûr que cela n’arrivera pas. Ce sera une consolation pour vous, sinon maintenant, du moins dans quelque temps, de savoir que je m’efforcerai de n’avoir point mauvaise opinion de mes semblables en général, à cause de ce qui s’est passé entre nous. Adieu ! »