Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/126

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motion jusqu’à ce qu’il se sentit disposé à parler de nouveau. Ce moment étant arrivé enfin, Chollop retira sa pipe de sa bouche et dit :

« Je ne suis pas surpris de vous entendre tenir ce langage. La chose exige une certaine élévation, une certaine préparation de l’intelligence. L’esprit de l’homme doit être préparé à la liberté, monsieur Co. »

Il s’adressait à Mark, ayant vu que Martin, qui désirait le voir partir, à moitié fou déjà par l’irritation fébrile que la voix bourdonnante de ce nouveau fléau lui rendait tout à fait insupportable, avait fermé les yeux et s’était retourné sur son lit de douleur.

« Une petite préparation physique ne serait pas de trop non plus, monsieur, dit Mark, avant de venir habiter un bon vieux marécage comme celui-ci.

– Considérez-vous, monsieur, cette contrée comme un marécage ? demanda gravement Chollop.

– Parbleu ! oui, monsieur, répondit Mark. Pour moi ça ne fait pas de doute.

– Ce sentiment est tout à fait européen, dit le major ; il ne me surprend point. Que diraient vos millions d’Anglais s’ils voyaient un tel marécage en Angleterre ?

– Ils diraient, répondit Mark, qu’il est fort malsain, et qu’ils aimeraient mieux s’inoculer la fièvre par quelque autre moyen.

– C’est européen ! remarqua Chollop avec une pitié sardonique ; tout à fait européen ! »

Ici il s’étendit sur son siège, l’air froid, calme et silencieux comme s’il était chez lui, et continuant de fumer comme un tuyau d’usine.

Naturellement, M. Chollop était un des hommes « les plus remarquables » du pays ; mais en réalité et à part cela, c’était un personnage notable. Ses amis tant du Sud que de l’Ouest le représentaient habituellement comme « un splendide exemple des produits bruts de notre pays. » Il était fort estimé pour son dévouement à la liberté rationnelle. Afin de la mieux propager, il portait habituellement dans la poche de son habit une paire de revolvers, chacun à sept canons. Il portait aussi, entre autres breloques, une canne à épée qu’il appelait son « chatouilleur, » et un énorme couteau qu’il appelait, vu la tournure plaisante de son esprit, « mon tranchelard, » par allusion à l’utilité de cet instrument pour ventiler l’estomac d’un