Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/127

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adversaire dans une dispute un peu solide. Il avait usé avec distinction de ces outils en plusieurs occasions, toutes dûment enregistrées dans les journaux, et il s’était fait un joli renom par la façon tout à fait galante dont il avait fait sauter un œil à un gentleman, qui se permettait de venir frapper à sa porte.

M. Chollop avait le goût de la vie errante, et dans une société moins avancée on eût pu le prendre par erreur pour un grand vagabond. Mais comme l’on comprenait et appréciait parfaitement ses belles qualités dans les régions où le sort l’avait placé et où plus d’un esprit d’élite sympathisait avec lui, il pouvait être considéré comme étant né sous une heureuse étoile, ce qui n’arrive pas toujours à un homme qui devance tellement le siècle dans lequel il est né. Comme pour satisfaire plus commodément ses goûts de chatouillement et de ventilation, il préférait vivre sur les confins de la société, dans les bourgs et les villes les plus reculés ; il avait l’habitude d’émigrer de ville en ville et de fonder dans chacune quelque affaire nouvelle, la plupart du temps un journal qu’il vendait presque aussitôt après, ayant soin presque toujours de clore le marché en provoquant, perforant, criblant de balles de pistolet ou de coups de couteau le nouvel éditeur, avant même que ce dernier eût pris possession de sa propriété.

C’était une spéculation de ce genre qui l’avait attiré à Éden ; mais ayant abandonné son idée, il était au moment de partir. Auprès des étrangers il se posait toujours en adorateur de la liberté ; il était un des plus chauds avocats de la loi de Lynch et de l’esclavage ; et il ne manquait jamais de recommander, tant par écrit que dans ses discours, « de goudronner et d’emplumer » tout individu impopulaire en dissentiment d’opinion avec lui. Il appelait cela « planter l’étendard de la civilisation dans les jardins vierges encore de ma belle patrie. »

Il est à peu près hors de doute que Chollop eût planté cet étendard à Éden aux dépens de Mark pour lui faire expier la franchise de son langage (car la liberté naturelle n’a le droit de parler que pour faire son propre éloge), n’eût été la désolation complète et la ruine qui pesaient sur la colonie, et le prochain départ qu’il méditait. Pour le moment, il se contenta de montrer à Mark un de ses pistolets, et de lui demander ce qu’il pensait de cet engin.

« Il n’y a pas longtemps, monsieur, dit-il, que j’ai tué avec ceci un homme dans l’État de l’Illinois.

– Vraiment ? dit Mark sans témoigner le moindre trouble.