Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/14

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Le petit barbier se hâta d’expliquer que la personne en question n’était ni une jeune femme ni une jolie femme, mais bien une garde-malade qui, depuis quelques semaines, avait servi de femme de ménage à un gentleman, mais qui, ce soir-là, devait céder la place à la ménagère en titre, la femme même du bourgeois.

« Il est marié tout nouvellement, et ce soir même il ramène chez lui sa jeune femme. En conséquence, je vais chercher ma locataire et sa malle chez M. Chuzzlewit, la maison derrière le bureau de poste.

– Chez Jonas Chuzzlewit ? dit Bailey.

– Oui, dit Paul ; tout juste ce nom-là. Est-ce que vous le connaissez ?

– Oh ! non, ma foi ! s’écria M. Bailey, moins que rien. Et elle, apparemment, je ne la connais pas non plus, n’est-ce pas ? Avec ça que c’est par moi qu’ils ont lié connaissance.

– Ah ! dit Paul.

– Ah ! répéta M. Bailey en clignant de l’œil ; et c’est qu’elle n’est pas mal, savez-vous ? Mais sa sœur était la plus jolie. C’est celle-là qui était une vraie Merry[1], une vraie Roger-Bontemps. Je me suis bien des fois amusé à la lutiner dans notre vieux temps. »

M. Bailey parlait comme s’il avait déjà une jambe aux trois quarts enfoncée dans la tombe, et comme si le fait était advenu à vingt ou trente ans de distance. Paul Sweedlepipe, bon homme s’il en fut jamais, était tellement fasciné par l’aplomb précoce, par les façons protectrices du jeune gentleman, et par ses bottes, sa cocarde et sa livrée, qu’il sentit un brouillard nébuleux flotter devant ses yeux, et crut voir devant lui, non plus le Bailey qu’il avait connu enfant dans la pension bourgeoise de mistress Todgers pour les messieurs du commerce, non plus ce Bailey qu’il avait vu, l’année précédente, venir lui acheter de temps en temps de petits oiseaux à un penny la pièce ; mais bien un brillant résumé de tous les grooms à la mode de Londres, la quintessence de toute l’écurie-pédie du temps, une machine à haute pression qui, à force de fonctionner depuis de longues années, était grosse à crever d’expériences condensées. Et en vérité, bien que dans l’épaisse atmosphère de la maison Todgers le génie de M. Bailey eût toujours brillé d’un vif éclat à cet égard, il éclipsait si bien à présent le temps

  1. Gaie, enjouée